Hommage aux films paranoïaques des années 60 et 70, La conspiration du Caire est un thriller d’espionnage efficace, servi par une grande maîtrise du rythme et du suspense.
Lauréat du prix du scénario au Festival de Cannes, Tarik Saleh poursuit dans La conspiration du Caire, sa radiographie de la société égyptienne, entre politique, religion et corruption.
Accepté dans la prestigieuse université islamique Al-Azhar, le jeune Adam fait la fierté de son père et de son village. Mais à peine la rentrée passée, le grand imam de l’université meurt et une guerre de succession s’engage. Elle se joue à la fois entre les hauts membres de l’organisation et sous l’influence du pouvoir égyptien. Ce dernier cherche en effet à asseoir son autorité sur la dernière section de la société égyptienne qui lui échappe encore. Au cœur de ses machinations se trouve Adam. Sur lui dépendra le destin d’Al Azhar et de son indépendance.
La paranoïa à tous les étages
Dans l’Égypte du maréchal Sissi, toute velléité politique est verrouillée. Le seul pouvoir qui lui échappe encore un tant soit peu est le religieux, drapé dans la parole inattaquable et indépassable de Dieu. Même pour une dictature. Après le genre policier de Le Caire confidentiel (2017), Tarik Saleh choisit de s’aventurer dans le domaine quelque peu désuet du film d’espionnage.
Entre Al Azhar et la Sûreté de l’État, la succession du grand imam de l’université est un enjeu crucial. Sans pouvoir influencer ouvertement le processus, le pouvoir égyptien, qui normalement contrôle tout, se retrouve dépendant des étudiants qu’il parvient à recruter. Après l’imprudent Zizo, c’est le jeune Adam qui se retrouve dans cette situation, obligé de suivre les ordres pour ne pas mettre en danger sa famille. Il noue alors une relation avec l’agent Ibrahim, interprété par le génial Fares Fares, dans un jeu de dupes qui ne finira par bénéficier, comme à chaque fois, qu’aux mêmes personnes : celles qui détiennent le pouvoir.
Une économie de moyen
Dans cet ensemble d’éléments a priori opaques, Tarik Saleh réussit à dépouiller son film avec un sens de l’économie de la mise en scène à saluer. Dans La conspiration du Caire, ni la capitale, ni l’université Al-Azhar ne servent de décors majestueux. Au contraire, le film déroule une succession de couloirs et de pièces étouffantes, dans lesquels l’avenir d’une nation se joue à l’abri des regards. Dans la droite lignée des grandes œuvres paranoïaques françaises, italiennes et américaines des années 1960 et 1970, on sent dans La conspiration du Caire une volonté d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire aux interactions entre les personnages. Peu importe le cadre ici, car tout se joue dans les regards, les non-dits et les mensonges.
On pense ainsi à des films comme Le cercle rouge de Melville, Les trois jours du Condor de Pollack ou encore Conversation secrète de Coppola comme références émérites. Dans ces œuvres comme chez Tarik Saleh, le rythme est volontairement ralenti pour faire naître la tension et le suspense. La caméra, au plus près des visages, scrute leurs moindres inflexions et laisse au spectateur le loisir d’y imprimer sa propre compréhension. Car au fond, même si le film de Tarik Saleh est plus évident dans son scénario que ceux précités, il s’inscrit néanmoins dans leur lignée. Une lignée à la fois paranoïaque et résignée.
Un film résolument arabe
Dans le cinéma occidental, le monde arabe est toujours représenté avec une certaine maladresse, et une claire méconnaissance des enjeux. C’est en partie ce que Tarik Saleh cherche à corriger avec La conspiration du Caire. Tout, des pratiques de la religion musulmane aux enjeux des personnages (inimitiés entre les courants religieux, Frères musulmans, importance capitale de l’exemplarité jusque dans la vie privée), est arabe et ne cherche pas à s’ouvrir plus que cela au monde.
Cela se remarque par exemple dans la manière dont l’islam est fidèlement représenté. Ainsi que dans la mise en scène des rouages de l’espionnage égyptien. En effet, loin des clichés de la CIA et même de la bureaucratie du Bureau des légendes, la sûreté égyptienne est avant tout une affaire d’hommes. Ces derniers décident seuls de la marche à suivre. Ceci, dans un vaste jeu de confiance envers leurs inférieurs et de déférence teintée de peur pour leurs supérieurs.
Ainsi, si l’on peut au départ reprocher au scénario de La conspiration du Caire d’être cousu de fil blanc, il n’en demeure pas moins qu’il montre fidèlement la réalité des dictatures arabes. Loin des doutes de l’Amérique de Coppola, le pouvoir égyptien est écrasant et n’hésite pas à montrer ses muscles. À la fin, ceux qui comme Adam ont le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment finissent, toujours, par perdre.
Dans l’Égypte de Sissi, il faut se résigner ou mourir. Même l’université Al-Azhar, cœur du pouvoir religieux, finit par s’y plier. C’est là toute la qualité du film de Tarik Saleh, qui parvient à instiller ce sentiment éminemment cynique. Dans une dictature, il ne faut faire confiance à personne. Et parfois, revenir à ses racines et mettre son ambition de côté est la meilleure manière de survivre.