Just Philippot est un réalisateur et scénariste partisan du court-métrage. A l’occasion de la sortie de La Nuée, CinéVerse et trois autres web médias se sont entretenus avec lui et Suliane Brahim, principale comédienne du film.
Friand de cinéma de genre, Just Philippot en a quatre à son actif (Tennis Elbow, Ses souffles, Dennis et les zombies et Acide). A seulement 38 ans, La Nuée est son premier long-métrage.
AUBIN BOUILLÉ (Just Focus): Comment êtes-vous parvenu à réaliser cet ambitieux projet ?
JUST PHILIPPOT : C’est venu dans un cadre un peu spécial. Je n’ai pas écrit de scénarios. C’est Jérôme Genevray et Franck Victor, sur une idée originale de Jérôme. Moi, j’ai eu un coup de pouce du destin. Je suis arrivé sur La Nuée un peu par hasard. J’avais fait une de ces résidences, la première, au travers du court métrage. Cette résidence elle a pour ambition de faire se rencontrer des gens, de créer des idées.
J’ai réalisé un court métrage qui s’appelle Acide et qui a très bien marché. Ce qui a permis à Thierry Lounas (le fondateur de ces résidences, chez Capricci), de structurer ses ambitions sur le long-métrage. Il est venu me voir à Clermont-Ferrand et il m’a dit « écoute tu as l’air d’être un spécialiste du nuage. J’aimerai te faire rencontrer Franck et Jérôme parce que j’ai un projet de nuage d’insectes » Donc, je les rencontre et à partir de là, il y a des échanges qui se font dans un environnement qui était propice à une synthèse entre plusieurs cinémas. J’ai Manuel Chiche pour The Jokers d’un côté et Thierry Lounas. Donc j’ai Mange tes Morts et Parasite, si je dois faire une sorte de grand écart ! J’ai deux producteurs qui sont capables de penser un cinéma qui n’est pas simplement lié à des règles et à des critères de genres.
WILLIAM FRANÇOIS (Les chroniques de Cliffhanger) : Le film possède de nombreuses inspirations empruntées au cinéma américain, mais il reste surtout très français dans la façon dont il traite les personnages et l’intrigue. Comment l’expliquez-vous ?
JUST PHILIPPOT : Il y a plusieurs choses. Il doit d’une part être français, car il est tourné en Auvergne et dans le Lot-et-Garonne, donc il ne pouvait pas faire semblant d’éviter le décor dans lequel il était. La deuxième chose, c’est qu’en France on a la chance d’avoir des salles « art et essai » et des salles avec des blockbusters. On est tous capables de synthétiser du documentaire de création avec du cinéma popcorn.
La Nuée est une synthèse naturelle. C’est la force du cinéma en France, d’être dans une forme d’ouverture. Par contre, l’envie c’était aussi de coller à un cinéma qu’on aime, un peu spectaculaire, à notre échelle. C’était un pari à réussir. Les sauterelles devaient être actées comme dans un cinéma américain. Il fallait trouver les moyens d’y accéder. Je trouve qu’en France, il y a des films qui manquent de générosité vis à vis du spectateur. Tout le monde a favorisé cette prise de risques (comédiens, producteurs…). Si tu ne travailles pas avec les bonnes personnes, tu ne réussis pas ce pari. C’est un équilibre.
LAURA FRITSCH (CinéVerse) : Une question pour vous, Suliane. L’humain est au cœur du récit. Quel est le regard que vous portez sur votre personnage, qui perd petit à petit le sens des réalités ? Votre regard est compréhensif ?
SULIANE BRAHIM: (rires) Il est ultra compréhensif ! Le personnage de la fille de Virginie est loin de l’être. Moi, en revanche, j’étais en empathie totale… Elle perd pied, alors qu’elle semble faire croire (se faire croire) qu’il y a un horizon. J’ai aimé ce portrait de femme seule avec ses deux enfants, sans homme autour excepté le personnage de Karim. Ce portrait de mère célibataire m’a touché, c’est un sujet fort sans être pour autant LE sujet principal du film.
LIAM ENGLE (Film de culte) : Just, comment dirigez-vous vos acteurs ?
JUST PHILIPPOT : Je m’aperçois qu’une tension de plateau est importante à certains moments. Il faut éviter les faux raccords et les fautes d’émotions en terme d’incarnation de jeu. J’ai essayé d’être constamment là pour les comédiens, de leur donner un sentiment d’agressivité sans être dans le sur-jeu. J’avais l’impression d’avoir 12 ans en expliquant mes fantasmes. Je vivais les scènes avec eux, je criais, je gesticulais… Je ne pouvais pas les lâcher. C’est galvanisant. J’avais parfois l’impression qu’ils risquaient leurs vies, dans un périmètre sécurisé, évidemment. Il faut favoriser une énergie de groupe, dans l’équipe. La tension faisait parti de l’écriture de la mise en scène.
LIAM ENGLE : Suliane, comment l’avez-vous vécu ?
SB : Un tournage, c’est comme une traversée. Un début, un milieu, une fin. Quand ça se passe bien, on se comprend sans tout se dire. L’acteur petit à petit est patiné par son personnage. La fatigue peut nous faire aller loin, donc il y a un timing à gérer. Un acteur a besoin d’être bien dans son espace. Tous les réalisateurs ne laissent pas cette liberté aux comédiens.
JP : On a structuré le décor au travers de Suliane. On a vraiment composé avec elle. Quand on a un peu de temps en amont sur la préparation, ça donne une couleur singulière. Plus tu les accumules, plus les évidences paraissent s’enchaîner les unes après les autres. Parce que les collaborateurs sont brillants.
SB: Quand il y a une envie commune de faire un film, chacun apporte un plus. C’est une aventure ultra collective. Il y a des moments rudes par manque de moyens, et on a trouvé des solutions ensembles. C’est beau et ça met une empreinte dans le film. Un réalisateur qui serait campé sur ses positions, ça ne permet pas aux personnages de se déployer. Il faut accepter que son fantasme devienne réel, et ne sera pas identique tel qu’on l’a rêvé.
AUBIN BOUILLÉ : Pourquoi votre film est-il autant ancré dans le réel ? Comment avez-vous décidé de la limite à poser sur le fantastique ?
JUST PHILIPPOT : Il y a des cinémas que je n’aime pas et des types d’histoires auxquelles je ne crois pas du tout. J’essayais de dire que l’histoire était vraie. J’ai volontairement ancré le cinéma dans ce que j’aime et dans ce mélange d’univers que j’apprécie. Je pense que si on était allé plus loin, j’aurais cassé mon rapport au type de films que je peux faire. Je ne sais pas comment on aurait pu aller plus loin, avec mon leitmotiv, de réussir ce pont entre le réaliste et le fantastique. On serait tombé dans du cinéma qu’on connaît déjà, qui a été fait par des mecs brillants, comme « La Momie ».
Aujourd’hui, pour parler de notre monde, ça ne m’intéressait pas. Je voulais que ce film soit un constat, une métaphore de notre époque. C’est ce qui rend cette femme si intéressante. Elle fait ça pour ses enfants, et elle détruit la Terre en même temps…
LAURA FRITSCH : Concernant la finalité du film, votre intention de mise en scène était plutôt optimiste, neutre ou au fond, pessimiste ?
JUST PHILIPPOT : Je pense qu’il y a dix ans, on avait le droit d’avoir des fins optimistes avec des personnages qui s’en sortaient. Aujourd’hui, avec le monde dans lequel on vit, il y a forcément une perte. Le cinéma se pose la même question. Il fallait garder à l’esprit que cette femme offrait à sa fille, un monde dans lequel elle allait tout de même pouvoir reconstruire quelque chose. Il y a un regard sincère qui se fait. Est-ce que la fin est belle ou pas… en tout cas, elle ressemble à notre monde.
SB : Je suis devenue maman récemment, avant j’avais une vision plus égoïste concernant la fin de mon personnage.
LIAM ENGLE : Votre plus grand regret sur ce film ?
SB : Moi, c’était la fin, mon regret. (SPOILER) J’aurai voulu qu’elle meure. (rires)
Et votre plus grande fierté ?
SB: J’avais aussi beaucoup d’appréhension pour les scènes avec du feu et en fait, quand tu es acteur, tu joues simplement. Tu repousses tes limites et tu n’as plus peur !
JP : J’ai eu la chance de pouvoir tout faire. Il y a des choses qu’on a éliminées qui n’étaient pas primordiales. Je n’ai pas de regrets à proprement parler, si ce n’est avoir peut-être des moyens supplémentaires à quelques endroits. Je ne supporte pas d’imaginer qu’il y avait des choses meilleures à faire. Il n’y a pas de regrets, il n’y a que des apprentissages. Je ne connaissais pas l’effort qu’un long-métrage impliquait.
C’est comme un marathon, je ressors de cette expérience avec l’envie d’aller plus loin. Je suis ému par ce que fait Suliane, on a trouvé une nouvelle façon de dire « Je t’aime », de faire un geste d’amour à travers certaines scènes. Notamment une scène en particulier, où on voit son personnage se trancher les mains. Elle met ce sang sur son visage et elle rentre dans l’eau. Il y a à la fois ce geste brutal, et en même temps c’est un geste d’émotion. Ce moment est mon grand kiff. On a vu ce sacrifice de la façon la plus pure qui soit.
La Nuée est en compétition pour la 28ème édition (en ligne) du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, du 27 au 31 janvier prochain, et sortira prochainement en salles.