Julie se tait de Leonardo Van Dijl : Dans les mailles du filet

Julie se tait de Leonardo Van Dijl : Dans les mailles du filet

Julie est la future championne du monde de tennis. Impliquée, endurante, pacifique. Pourtant, Julie se tait. Si l’on tendait l’oreille, peut être entendrions-nous les murmures de ses blessures.

Rappelez vous, il y a quelques mois nous vous mentionnions une « Julie » rencontrée sur les bords de mer cannois. Sélectionnée parmi une centaine de films à regarder, Julie (se tait) de Leonardo Van Dijl avait glacé notre enthousiasme du mois de mai. À quelques jours de sa sortie sur les écrans français, nous nous devions de vous rappeler combien il était important de découvrir l’une des (déjà) meilleures œuvres de l’année.

« Julie (Tessa Van den Broeck), une star montante du tennis évoluant dans un club prestigieux, consacre toute sa vie à son sport. Lorsque l’entraîneur qui pourrait la propulser vers les sommets est suspendu soudainement et qu’une enquête est ouverte, tous les joueurs du club sont encouragés à partager leur histoire. Mais Julie décide de garder le silence… »

© Jour2fête

Une longue peine tranquille

Écrire un article, c’est choisir les bons mots. Écrire un scénario, c’est trouver les bons mots, les placer au bon endroit. Tout est une question de décision, de ce que l’on souhaite dire, de ce que l’on est prêt.e à livrer ou non. Julie se tait est un modèle juste et intense de l’importance du silence. Julie ne parvient pas à trouver sa place, « dans un monde qui la pousse à parler, elle reste muette ». Ses amis, ses enseignants, ses parents,… tentent de prendre des décisions à sa place.

Julie se tait sort en salles dans un environnement où les luttes contre les VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels) sont plus animées que jamais. Les relations de pouvoir que le film dépeint sont au cœur de l’actualité. Parfois visibles, parfois moins, elles sont une nouvelle preuve de la toxicité enfouit dans le silence. Sur le sujet des violences dans le milieu sportif, on pouvait citer Slalom de Charlotte Favier, sorti en 2020. Son héroïne Liz, comme Julie ici, voyait son refuge prendre des airs d’une prison. Cependant, par sa subtilité, Julie se tait se place en contre-exemple de Slalom, qui nous maltraitait par l’hyperbole de ses images.

Sans un bruit

L’abominable homme des neiges de Slalom, les arachnides de Sans un bruit,… la figure du monstre prend de multiples formes pour nous effrayer. Mais Julie se tait emprunte un chemin différent. Et si nous n’en faisions pas tout un sujet ? Si nous prenions le temps d’accompagner les victimes plutôt que de ne parler que du bourreau ? Le prédateur prend ici la forme d’un fantôme, que nous évitons de croiser. Leonardo Van Dijl ne quitte pas son personnage féminin tout en parvenant à la filmer à bonne distance afin de ne pas empiéter sur son intimité.

Les scènes ont tout leur temps pour vivre. Finalement, « Julie nous permet d’explorer nos silences ». Dès la projection du titre, nous pouvons deviner que la sobriété sera le maître mot du film. À l’inverse d’un Challengers où la sueur des joueurs sous le soleil américain traversait l’écran, ici, le climat est froid et l’ambiance grisâtre. Les décors restent neutres, les murs vides et les tenues ternes. Les mots ne sortent pas de la bouche de Julie, ainsi les décors s’accordent à son mal être. Nous sommes alors plongés en apnée. Nos émotions partent à la dérive, accompagnées par les chœurs féminins qui traduisent les émotions déchirées de la jeune joueuse.

Le revers de la médaille

Nous vous l’avons déjà rappelé plus tôt, mais ce n’est pas la première fois que nous mentionnons notre amour pour Julie se tait. Et nous ne sommes pas les seuls à admirer toutes ses qualités. Le film a remporté deux prix (Fondation Gan et SACD) à la Semaine de la Critique. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois à Cannes pour le réalisateur qui avait présenté Stéphanie, un court métrage en sélection officielle en 2020. Une œuvre dont le thème du sport et de la distribution des pouvoirs en son sein étaient déjà présents.

Ce premier long métrage réalisé par Leonardo Van Dijl, tout comme l’était The Quiet Girl, est une nouvelle preuve que le regard masculin sur la parole féminine est le bienvenu lorsqu’il est porté avec bienveillance. Le réalisateur affirme que « c’est pour eux (la nouvelle génération) [qu’il a fait] ce film, pour qu’ils puissent grandir dans un monde où ils se sentent en sécurité ». Il décide de ne pas emprunter les voies de la comédie ou du body horror pour traiter des VHSS mais celui de l’intime et de la retenue. Un moyen audacieux, qui permet de traiter des violences faites aux femmes tout en creusant une réelle place en nous.

© Jour2fête

Quelques minutes seront nécessaires pour reprendre notre souffle en fin de projection de Julie se tait. Empruntant le rythme d’une course de fond, le film n’a rien à envier au sprint. Chaque instant passé aux côtés de Julie déborde d’émotions, pourtant prisonnières d’un silence asphyxiant.

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