Avec Je verrai toujours vos visages, regards, écoutes et paroles s’entremêlent pour offrir un film fort et sincère, proche du documentaire.
Cinq ans après Pupille, Jeanne Herry s’attaque dans Je verrai toujours vos visages à une nouvelle pratique quelque peu méconnue dans notre pays : la Justice Restaurative.
Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel. Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation…
Les prisonniers de la Table ronde
En 2017, Pupille avait conquis avec ses trois nominations au César et son sujet, l’adoption, auquel le public français n’avait pas l’habitude de s’interroger dans les salles obscures. Rebelote avec Je verrai toujours vos visages qui questionne cette fois-ci la Justice Restaurative, une initiative rare sur grand écran. Si l’année 2023 avait mal commencé pour les films choraux français (coucou Astérix), Jeanne Herry a fait appel à de grandes actrices et de grands acteurs pour leur jeu, et non pas pour leur « popularité » : Adèle Exarchopoulos, Gilles Lellouche, Leila Bekhti, Elodie Bouchez, Denis Podalydès… et même sa propre mère Miou-Miou. Rien que ça.
Ce qui marque d’entrée dans Je verrai toujours vos visages, c’est la précision et la justesse avec lesquelles le sujet du film est expliqué. Un thème comme celui-ci aurait pu en laisser quelques-uns sur le bord de la route dès les premières minutes, et pourtant non. On découvre alors ces « visages » : certains blessés, marqués, d’autres enjoués ou attentionnés. Les histoires et les récits qui les accompagnent sont durs, violents. Mais ils ont tous le seul et même objectif : l’oubli, pour avancer.
La face cachée de la plume
Alors la parole se libère et la puissance de jeu de tous ces interprètes avec. Les monologues se suivent, certains durent plus de six, sept minutes. Chacun a son temps de parole dans cette grande horloge d’échanges et de partages. Un rire, un sourire, nous attrape et nous fait du bien, comme une bouffée d’oxygène. On respire. C’est bluffant de réalisme, de sincérité mais surtout d’écriture. Rien n’est laissé au hasard ou à l’improvisation : chaque virgule compte. Le scénario est d’une précision remarquable et l’on imagine la quantité de documentations nécessaires pour en arriver à ce résultat.
Jeanne Herry le dit elle-même : « Je suis réalisatrice essentiellement pour mettre en scène les acteurs, c’est ça que j’aime dans la vie » (Beau Geste, France 2, 12/03/2023). Dans son troisième long-métrage, elle les sublime. À tour de rôle, ces visages du cinéma français se succèdent en harmonie. Difficile de ne pas imaginer quelques nominations aux César l’an prochain, même s’il est encore tôt pour se prononcer. Aucun interprète n’est dans le faux, tout est vrai, brut. Même la scène finale nous réserve une surprise inattendue : un ultime visage, un dernier regard, qui vient clôturer ce brillant récit.
Je verrai toujours vos visages est un grand film sur la résilience, le pardon et sur l’écoute de l’autre. Des actrices et des acteurs justes au service d’un scénario millimétré : le troisième film de Jeanne Herry nous cueille, c’est vrai. Inutile de se voiler la face…