Festival des Sortilèges 2025 : Focus sur le cinéma indonésien avec Bastian Meiresonne

Féministe et engagé, le Festival des Sortilèges 2025 met en lumière le récit des luttes des femmes sous le prisme cinématographique. L’Indonésie est à l’honneur pour cette édition.

Nous avons rencontré Bastian Meiresonne, intervenant sur ce Festival des Sortilèges 2025. Spécialiste du cinéma asiatique depuis vingt ans, il est rédacteur de presse, auteur d’une dizaine d’ouvrages, programmateur dans de nombreux festivals, et réalisateur du documentaire Garuda Power. Un véritable électron libre, donc, avec qui nous avons eu le plaisir d’échanger autour du cinéma indonésien sous toutes ses coutures – y compris politiques et féministes.

CinéVerse : Bonjour Bastian Meiresonne, merci de nous avoir accordé cet entretien. Pouvez-vous présenter votre travail en quelques mots ? 

Bastian Meiresonne : J’ai la chance de vivre de ma passion, le cinéma asiatique, depuis une vingtaine d’années. J’essaye de digérer et de transmettre tout ce que je peux acquérir, en donnant aux autres le goût de la découverte.

Le Festival des Sortilèges 2025 a pour thème l’Indonésie. Quel est votre rapport avec ce pays, et son cinéma ?

Bastian Meiresonne : Je suis tombé dans le cinéma asiatique pendant ma petite enfance. J’ai commencé par le cinéma japonais, puis par le cinéma hongkongais, dont l’âge d’or a coïncidé avec mon adolescence. J’ai aussi fait des déplacements en Thaïlande, ce qui m’a permis de me construire une culture.

On met souvent le curseur sur des pays assez connus comme le Japon ou la Chine, Hongkong, maintenant la Corée… J’avais envie d’aller au-delà, de défricher là où on avait très peu de ressources, et l’Indonésie en a fait partie.

Je m’y suis surtout intéressé au début des années 2010. A ce moment là, il y avait une vaguelette d’auteurs émergents. J’ai vécu six mois à Jakarta pour réaliser un documentaire, Garuda Power, qui devait traiter au départ du cinéma d’action Indonésien des années 80. Mais j’ai fini par y raconter toute l’histoire du cinéma indonésien, de ses débuts jusqu’en 2014.


« Pour moi, le cinéma c’est de l’émotion pure.« 


Justement, pouvez-vous nous parler de Garuda Power, votre documentaire ? 

Bastian Meiresonne : Quand on fait des recherches sur le cinéma, on se confronte à certains critiques élitistes qui cherchent avant tout du cinéma d’auteur. Mais pour moi, le cinéma c’est de l’émotion pure. Je prends autant mon kiff devant des films intellectuels que des oeuvres où je vais crier, pleurer, avoir peur… En Indonésie, ce premier type est assez réduit. Mais je me suis rendu compte que le cinéma populaire de ce pays racontait énormément sur la société de l’époque, alors sous dictature. C’étaient des documentaires sociologiques. S’il y avait autant de films d’horreur et d’action, c’était parce qu’ils servaient d’exutoires au peuple. Un producteur m’a approché en me proposant de faire un documentaire sur ce sujet. 

Et comment on fait, pour approcher un sujet aussi vaste que celui de l’histoire du cinéma indonésien ? 

Bastian Meiresonne : J’ai voulu utiliser le prisme du cinéma d’action pour raconter l’histoire du cinéma indonésien, de ses débuts jusqu’en 2014. Mais au moment de la production, il y avait très peu d’informations, même sur Internet ! Les archives étaient mal gérées. Je me suis entouré d’étudiants et professionnels indonésiens, parce que je ne voulais pas biaiser la recherche par mon regard d’homme occidental. Ces jeunes n’avaient pas du tout conscience de leur propre patrimoine culturel. Ils se sont pris de passion pour leur propre histoire, leur propre culture.

Le documentaire, qui était d’abord focalisé sur le cinéma d’action des années 80, a pris une tournure totalement différente. Ils m’ont poussé à aller retrouver des salles abandonnées de cinéma, à parler avec des spectateurs qui avaient connu l’âge d’or dans les années 80. On a organisé des séances en plein air avec des classiques de l’époque, pour que les gens viennent nous voir et raconter des anecdotes. C’est un gloubi-goulba de passion autour du cinéma tantôt historique, tantôt émouvant, tantôt politique. 


« Le Festival des Sortilèges, c’est un festival engagé et féministe, et c’est important.« 


Vous avez mentionné le mot « politique », c’est un mot important puisque c’est le focus du Festival des Sortilèges : un festival politique, féministe et queer. Est-ce que vous pouvez nous parler du Festival des Sortilèges ? 

Bastian Meiresonne : Je connais la directrice, Célia, depuis un moment. On s’est rencontrés autour de notre passion commune pour le cinéma asiatique, et on a collaboré sur différents évènements. Dans mes écrits, mes réalisations et mes introductions sur scène, j’associe toujours la politique car il est indissociable de la société et de l’outil cinématographique.

Le déclic que j’ai pu avoir en comprenant que mes actions pouvaient être politiques, c’est justement en Indonésie que je l’ai eu. Au cours de mes recherches, j’ai essayé d’attirer l’attention des institutionnels sur l’immense patrimoine culturel qu’ils délaissaient. On m’a répondu que contrairement à la France, l’Indonésie ne peut pas se permettre d’investir autant dans la conservation du patrimoine. L’argent va en priorité pour les populations plus pauvres, les trous dans les routes… le cinéma vient en dernière position.

Aussi, dans les années 60, il y a eu des comédies musicales où les femmes dansaient en mini-jupe et en décolleté… dans l’Indonésie actuelle, on ne veut plus se souvenir de cette époque. Brûler les archives risque d’attirer trop d’attention – si on se contente de les laisser pourrir, les images disparaissent sans faire de bruit.

Le Festival des Sortilèges, c’est un festival engagé et féministe, et c’est important. Il faut accentuer les actions politiques. Dans mon parcours de programmateur et d’intervenant, je vois qu’on commence à me museler, à me demander de ne plus aborder certaines choses, à m’auto-censurer. Ce que je ne ferai jamais. 

Le Festival se focalise particulièrement sur Suzzanna. Quelle est son importance pour le cinéma indonésien ? 

Bastian Meiresonne : Suzzanna, c’est un monstre, dans le bon sens du terme ; légendaire, presque mythologique, du cinéma indonésien. Tout le monde la connaît : aussi bien les vieilles que les jeunes générations. C’était une simple actrice au départ. Mais c’est véritablement en 1981, avec Sundelbolong, et La reine de la magie noire, qu’elle va instaurer son image mythique.

Elle est devenue la reine des films d’horreur à l’âge d’or du cinéma de genre, dans les années 80. Très rapidement, le public associe son personnage à la personne réelle ; des rumeurs ont circulé à son sujet, qu’elle ne dément pas, et en joue même énormément. On a eu peu de personnes comme ça, à part peut-être Marlène Dietrich.

Suzanna était le symbole d’un cinéma populaire incarnant des personnages, abusés par des hommes de pouvoir, mais capables de se venger. Elle exprimait le malheur du peuple victime de la dictature. Sans qu’elle en ait eu conscience, elle était devenue une sorcière avant l’heure – archétype d’une lutte contre les injustices, et d’un certain patriarcat. C’est l’esprit de vengeance de tout abus, de toute violence faite envers les femmes.

Mais il faut aussi rappeler que ces analyses sont une réactualisation. On lui prête cette symbolique féministe parce qu’elle colle parfaitement à celles en vogue aujourd’hui. Mais dans ses interviews de l’époque, elle n’a jamais pris position par rapport aux combats des femmes.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur l’actualité du cinéma indonésien à l’heure actuelle ? A la fois en terme de production et de récit, mais aussi plus précisément par rapport aux femmes ? 

Bastian Meiresonne : Quand j’ai tourné mon documentaire en 2014, l’industrie du cinéma était au plus bas en Indonésie. Il y avait 90 longs-métrages produits chaque année, qui ne rapportaient pas beaucoup d’argent et ne s’exportaient pas. A l’âge d’or dans les années 80, il y avait 2000 salles de cinéma, très grandes et avec plusieurs centaines de places, de véritables palaces ! En 2014, on n’en était plus qu’à 600 écrans sur tout le territoire, pour plus de 260 millions d’habitants. Ce ratio était parmi les plus faibles du monde.

Depuis dix ans, ça s’est énormément amélioré : un écran ouvre quasiment chaque jour, il y en a aujourd’hui 1500. Les Coréens ont fait de l’Indonésie un pays cible pour construire une industrie sur place, et y exporter leur production. Ils le font aussi au Vietnam, en Turquie et aux Philippines actuellement. Ils construisent de nouvelles salles, les rénovent, injectent beaucoup d’argent et transmettent le savoir-faire : le cinéma indonésien prend énormément de valeur. Ceci se vérifie dans les chiffres : chaque année, les plus gros succès rapportent plus que ceux de l’année précédente.

En revanche, comme toujours, les femmes sont minoritaires… les femmes réalisatrices représentent moins de 10% sur la totalité des réalisateurs actifs. Mais plusieurs arrivent à se faire un nom, donc je reste confiant ! 

– Entretien réalisé le 21 juin 2025 par Marie Guéziec pour cineverse.fr

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