Diamant brut d’Agathe Riedinger : Mon précieux…

Amour, Gloire et Beauté : tels sont les piliers édictés comme de véritables mantras par les nombreuses émissions de téléréalité qui pullulent depuis des décennies. Dans une époque où le métier d’influenceur est constamment sous le feux des critiques, raillé ou admiré, Agathe Riedinger prend le parti avec Diamant brut d’explorer le point de vue d’une jeune fille déterminée à rejoindre cette idylle télévisée.

Pour son premier long-métrage Diamant brut, la réalisatrice s’attaque à un véritable phénomène de société tout en prolongeant la réflexion amorcée avec son court-métrage « J’attends Jupiter » sorti en 2017. Après sa sélection en Compétition Officielle au Festival de Cannes 2024, le film sort dans les salles obscures, promettant un conte moderne brut mais attachant.

« Liane (Malou Khebizi) 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour « Miracle Island ». »

© Pyramide Distribution

Miroir, mon beau miroir

L’apparence. La perception que les autres ont de nous. La perception que l’on a de soi. Autant de notions complexes exacerbées dans un monde où le talent, le produit est « d’être soi ». Ou plutôt d’être une version consommable de soi. Comme dans le récent The Substance de Coralie Fargeat, la question du regard et ses conséquences est au cœur du récit de Diamant brut.

Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène se déroulant la nuit dans un parking vide où l’on voit Liane effectuer un spectacle de pole dance. Seule lueur dans la nuée : ses escarpins argentées qui attirent l’œil, brillant de manière fantomatique. Le format 4:3 et le léger travelling avant posent déjà les bases de ce monde dans lequel notre héroïne vit. Cette séquence trouvera d’ailleurs un écho plus tard dans le film, où l’on verra Liane en transe face à des danseuses en boîte de nuit qui se meuvent de façon aérienne et gracieuse. Le glas est sonné : disposer de son corps, être sexy et indépendante ; c’est cela la liberté.

Télé-naturalisme

Grâce à un langage visuel éthéré qui joue avec le naturalisme et une esthétisation picturale de la ville de Fréjus, la réalisatrice s’attarde avec tendresse et amour sur son héroïne, nous permettant d’entrer en empathie avec elle, sans la juger, malgré des moments plutôt compliqués à appréhender, qu’ils soient du ressort de notre héroïne ou du monde extérieur violent et méprisant envers elle.

Malou Khebizi livre une première performance vulnérable et intrépide qui suscite la sympathie. Liane est un personnage complexe qui dérive à travers diverses situations. Cette chronique solaire et sociale nous donne des bribes de sa vie, de sa solitude à sa relation tumultueuse avec sa mère, en passant par ses meilleures amies ou son amour pour sa petite sœur qu’elle souhaite protéger à tout prix. Liane se sent écrasée par la société et a conscience de subir le mépris de classe et un sexisme frontal. Les premières minutes du récit sont marquées par son quotidien méthodique, sa débrouillardise, et son franc parler.

Déjouant (peut-être) certaines attentes, la réalisatrice ne va pas se focaliser sur l’entrée de Liane dans le moule de la télé-réalité. Au contraire, elle va travailler l’attente sourde, angoissante et espérée des résultats à la suite de son audition, du point de vue de la concernée mais également des personnes qui composent son entourage. Comment l’on passe de presque adulée, de courageuse pour s’être inscrite à ce concours, à presque méprisée et prise en pitié.

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Que Ma prophétie s’accomplisse

Avec Diamant Brut, Agathe Riedinger prend le parti pris de faire un film fleuve, en s’attardant sur la psychologie de son personnage, quitte à laisser des moments de flottement qui, de notre côté, nous ont plu et ont participé à la création de l’univers sensoriel dans lequel évolue Liane.

« Je ne suis pas comme tout le monde. ». Cette phrase et toutes ses déclinaisons sont assenées avec force et conviction par Liane tout au long du récit, telles des annonces prophétiques. « Dieu est mon berger et je ne manquerai de rien » pourrait également être l’une des maximes du film tant la thématique de Foi est incarnée par Liane qui se sent portée par la grâce du Seigneur et qui est convaincue d’être différente. La superbe et tonitruante musique aux violoncelles et l’apparition des commentaires Instagram à la manière de versets bibliques viennent renforcer ce fil narratif qui est l’une des très bonnes idées du film.

Le silence et l’amer

Les silences qui ponctuent le film sont d’ailleurs l’autre chose saisissante de cette entrée en matière, en n’ayant pour sons diégétiques que les bruits naturels tels que la respiration de Liane ou l’environnement sonore de Fréjus.

L’extradiégétique intervient pour la première fois au moment où elle commence à se maquiller, à faire du contouring. Comme si elle débutait une transformation à la fois fascinante et « monstrueuse ». La comparaison avec The Substance n’en est que plus pertinente. Ici le body horror n’a rien de fantasque, il n’est pas exagéré. Nul besoin d’effets pratiques en tout genre : Liane obéit simplement au vieil adage qui martèle qu’il faut souffrir pour être belle, et ses pieds minés de plaques rougeâtres en raison des talons qu’elle porte toute la journée (un grossier tatouage LV trône fièrement au milieu de ces cicatrices) en sont la preuve.

Le choc des générations

L’un des éléments clés de Diamant Brut est la fracture générationnelle. Une fracture face à ce genre de (nouveaux) métiers, accusés de promouvoir « la culture du vide » et de participer à la déchéance de l’intellect humain.

Si le film met en scène des générations qui ne se comprennent pas, il montre également que l’incompréhension peut se situer au sein d’un regroupement d’individus du même âge – ici la GEN Z. Liane a son gang, son crew, ses copines avec qui elle fait les quatre cents coups, écumant les boîtes de nuit et les boutiques, tout en chantant à tue-tête et en chœur lors de trajets en voiture.

Elles ont beau se ressembler, ces femmes sont dans des situations différentes et ont surtout des idéaux de vie différents, à l’opposé des objectifs de notre héroïne. Même son de cloche du côté de Dino, le love interest de Liane, qui souhaite construire sa propre maison à partir d’une bâtisse abandonnée et qui se lève tôt pour travailler d’arrache-pied avec son frère. Chose que Liane a du mal à concevoir voire qu’elle méprise.

C’est une époque où rien n’est assez beau, assez grand, assez fort. Une époque où tout un pan de la jeunesse se compare, créant ainsi des complexes, de la frustration, de la solitude et potentiellement de la violence. En contraste, il est agréable de voir ces jeunes femmes défendre des valeurs et leur vision de la réussite sans pour autant juger leur amie.

Influenceurs ou influencés ?

Agathe Riedinger établit intelligemment la relation entre le désir d’être célèbre, les aspirations de classe et le culte de l’argent. Il n’y a pas de bon ou de mauvais buzz : l’essentiel est que l’on parle. On est remarquée, exposée, on s’élève par rapport aux autres, et on échappe à notre condition sociale. C’est le rêve ultime pour Liane qui est dans une fuite constante en avant face à une vie dans laquelle elle ne sent pas à l’aise, face à une quête d’approbation et d’amour maternel criant.

Cette approbation, cette valorisation et cette estime dans les yeux d’autrui s’incarne par la présence de Dino. Mais elle est transcendée par l’appel de la directrice de casting qui souhaite la voir auditionner. Les portes du Ciel semblent s’ouvrir pour notre jeune héroïne mais aussi pour le spectateur, et c’est un tout autre ressenti qui est transmis grâce à la mise en scène froide et clinique. Le 4:3 prend tout son sens, enfermant notre héroïne ; le léger travelling avant accentue notre sentiment de voyeurisme et de malaise face aux questions souvent malsaines de la directrice de casting. Nous sommes dans un zoo et Liane est la nouvelle attraction curieuse à observer et à décortiquer.

Dès lors, Diamant Brut explore le paradoxe, le pacte faustien qui découle de ces émissions : de la possibilité d’empowerment et d’émancipation jusqu’à l’alimentation du mépris de classe, de la culture du viol et l’hypersexualité qui s’en dégage. Un constat cynique mais particulièrement compréhensible dans une société capitaliste où l’estime de soi est dans la puissance, et la puissance dans l’argent et la beauté.

© Pyramide Distribution

Si la religion était l’opiacé des masses, il semblerait aujourd’hui qu’elle ait été supplantée par la célébrité. Liane se sent comme le Messie, et la quête de célébrité est sa croisade. Diamant Brut nous emmène à travers les vagues houleuses des rêves corrompus que l’on nous vend et questionne notre jugement face aux personnes éprises de ce système.

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