Second film fantastique du duo Luciana Mazeto et Vinícius Lopes, Despedida (sortie en salles le 14 décembre) (r)ouvre avec candeur et esthétisme le grimoire de notre enfance. Un indéniable hommage à Lewis Carroll à la mode brésilienne, porté par des femmes de tous âges et sur fond de carnaval.
Dans un Brésil actuel, Ana, 11 ans, fait des cauchemars. Elle voit et entend sa défunte grand-mère entrer dans la forêt qui borde la maison familiale. Pour la retrouver, la jeune fille attend la tombée de la nuit et découvre un monde où fantaisie, mysticisme et personnages imaginaires se rencontrent et s’affrontent. Ana, apeurée par cette nature inconnue mais poussée par son courage, tente de dénouer le passé de sa famille et ainsi oublier ses mauvais rêves.
L’animation au service du genre
« Il était une fois » sorcières, animaux qui parlent, lac et forêt magiques… Baissez la lumière, glissez-vous sous la couette et ouvrez grand les oreilles, l’histoire va bientôt commencer. Forts de leur première collaboration en 2021 avec Irmã, Luciana Mazeto et Vinícius Lopes signent avec panache Despedida – « l’adieu » en français – un conte fantastique mêlant habilement l’animation et la réalité, le rêve et l’éveil, la nuit et le jour.
Comme un laissez-passer offert par les réalisateurs dans l’inconscient d’Ana (interprétée par Anaís Grala Wegner, déjà présente dans Irmã), les passages animés renvoient aux rêves de la jeune fille, cherchant avec peine les traces de sa grand-mère Alma – « l’âme » en français – décédée au début du film. C’est de là que le duo brésilien Mazeto-Lopes installe son récit dans un univers fantastique, jalonné de lieux et personnages aux noms pour le moins évocateurs (lac de l’oubli, le roi de la peur, la princesse de la forêt…) et dans lequel Ana cherche son passé à travers celui de sa mère, Inês.
« Do Brasil »
Si les ressorts narratifs propres au genre sont largement épuisés dans Despedida – là se trouve sûrement sa seule limite – il ne s’agit pas non plus ici d’une pâle copie d’Alice au pays de merveilles de Tim Burton ou d’une adaptation des histoires des frères Grimm. Très loin aussi de l’ambiance poussiéreuse de Perrault et de ses Contes de ma mère l’Oye, ce film tient sa fraîcheur dans un Brésil festif et coloré le temps du carnaval. Au fur et à mesure du récit, costumes, paillettes, danse et festivités balaient la peur, le deuil et l’obscurité au sein desquels Ana était enfermée et destinée à sombrer.
Nimbé d’animisme, de clins d’oeil à la culture amazonienne et aux forces telluriques, Despedida raconte également un Brésil oublié, peut-être fantasmé, au coeur duquel la nature était au centre de toute préoccupation. Les amies d’Ana, seuls personnages métisses du film, font vivre par leurs chants et leurs croyances la magie de la forêt qui les entoure et les protège.
Sororité et filiation
Dans ce conte où aucune place ou presque n’est laissée aux hommes (absence du père d’Ana et cousins nocifs), les personnages féminins – dont Ana en est la cheffe de file – font le récit : tout part du décès d’Alma (comme évoqué plus haut), s’ensuit la soudaine cécité d’Inês engendrée par la terrifiante Agnes, la grand-tante d’Ana, pour enfin donner justice à Madalena et Jussara (les amies d’Ana), qui obtiennent finalement le droit de rester sur le terrain familial.
En évacuant les figures masculines, les réalisateurs dépeignent une fresque familiale portée uniquement par les femmes et ce sur trois générations. Une filiation opérée par le sang mais aussi par la transmission orale, en est témoin le « Livre des histoires inscrites dans la mémoire », écrit pas sa mère et qu’Ana découvre grâce à ses « guerrières », des poupées ensorcelées au service de la princesse de la forêt…
Agréable, polymorphe et dans l’air du temps, Despedida s’affirme comme un voyage d’une heure trente au cœur du monde des rêves cher aux enfants autant qu’aux adultes. Luciana Mazeto et Vinícius Lopes poursuivent ainsi leur odyssée du fantastique où le Brésil ne semble pas avoir encore délivré tous ses mystères…