Passé maître dans l’art du contre-pied, Olivier Assayas s’essaie au thriller d’espionnage avec Cuban Network.
Une année après Doubles Vies, chronique parisiano-parisienne sur le petit monde de l’édition, l’éclectique réalisateur revient sur nos écrans avec d’autres vies doubles, celles d’espions entre Cuba et les Etats-Unis formant le Cuban Network.
Spy games
C’est peu dire qu’Olivier Assayas n’est pas un cinéaste comme les autres. Critique de science-fiction chez Métal Hurlant, spécialiste du kung-fu aux Cahiers du Cinéma : d’emblée le changement de style sembla s’imposer chez lui comme un crédo. Réalisateur successif de films de vampires (Irma Vep) de fantômes (Personal Shopper), de chroniques familiales façon Claude Sautet (L’heure d’été), de variations selon Cassavettes sur l’oeuvre de la comédienne (Sils Maria) ou encore de teen-movie soixante-huitard (Après mai)… Olivier Assayas, 65 ans et physique d’éternel jeune homme, esprit sage disséquant les âmes tourmentées, ajoute un nouveau genre à sa fertile filmographie.
Basé sur l’histoire vraie d’une cellule d’agents secrets entre la Havane et Miami dans les années 90, Cuban Network narre un surprenant récit entre le thriller d’espionnage et le mélodrame, sur les sacrifiés de la révolution cubaine. Sans faire l’hagiographie du régime castriste ni de l’impérialisme américain, il narre les destinées contrariées de deux couples, Olga & René Gonzalez (Penelope Cruz & Edgar Ramirez) et Ana Martinez & Juan Pablo Roque (Ana de Armas & Wagner Moura), unis et désunis par la guerre froide entre le Cuba de Castro et les USA de Clinton.
La Taupe
Ni de gauche ni de droite, ni marxiste ni capitaliste, ni bourgeois ni bohème, le cinéma d’Assayas décoche toutes les cases dans lesquelles on voudrait parfois le ranger. Son Cuban Network n’échappe pas à cette règle du « il n’y a pas de règle » et brouille les codes du mélo et du film d’espionnage traditionnels. James Bond est en effet bien loin.
Obscurs agents du renseignement et de l’information, ses espions se rapprochent davantage de ceux de La Taupe de Alfredson ou de La Vie des Autres de Henckel von Donnersmarck, différant seulement par leur teint halé au soleil et autres chemises exotiques. De courses-poursuites en Aston Martin et de gadgets, il n’y aura pas.
Les séparés
Si la profession du vrai agent secret est morne et astreignante, sa vie familiale est un bouleversement quotidien. Son histoire, celle d’une dissimulation. Une dissimulation de secrets d’états certes, mais une dissimulation des sentiments, surtout. « Tu ne sais rien de moi. Et c’est mieux pour toi ainsi » lâche l’espion Roque à sa nouvelle femme Ana, au terme d’une énième dispute provoquée par sa vie secrète. Le champ de bataille se déplace à l’écran et n’est plus entre Yankees et Commies, mais entre mari et femme, au sein de la cellule familiale.
Écrites comme pour un David Lean ou un Luchino Visconti, les héroïnes d’Olivier Assayas sont des femmes-courages, figures tragiques et romanesques, ballottées d’un drame à l’autre par les grands mouvements des nations. Pénélope Cruz et Ana de Armas, trouvent dans ces vies séparées par le détroit de Floride, si loin mais si proches, des rôles subtils et centraux.
Espionnage et contre-espionnage
Si on ne prête pas attention aux jeux de regards, aux silences autant qu’aux paroles, à toute cette mécanique des sentiments finement horlogée, Cuban Network peut facilement nous perdre. Sa narration, voguant avec une complexité baroque entre Miami et la Havane, déboussole le spectateur. C’est pour mieux le mystifier. Comme chez Welles dans F for Fake, tout ce que filme Assayas n’est pas forcément vrai.
Sa caméra ne capture pas tout, elle s’oublie dans ses ellipses, elle ment par omission. Faussaire de l’image, monteur-prestidigitateur, le réalisateur trompe son auditoire de fausses pistes en vraies révélations, le bouscule d’un rebondissement à l’autre, de twist en twist. Qui espionne qui ? Quel camp choisir ? La première heure du film fascine par son American way of life, sa vie douce et facile, séduisant miroir aux alouettes matérialiste. Par contraste, sa seconde partie nous ramène à ce qui est, probablement, l’essentiel des sentiments humains.
En dirigeant sa caméra d’une rive à l’autre, d’un genre à l’autre, écoutant les mensonges avoués et les vérités retenues, le long de ces vies que l’on s’invente et de ces vies que l’on vit, Olivier Assayas vise hors-cadre, et paradoxalement, c’est ainsi qu’il vise juste.
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