Avec Crépuscule, György Fehér signe un immense film noir, et réinvente les codes du genre. Une ressortie Carlotta, à ne pas manquer en salles obscures.
Présenté à Reims Polar et en version restaurée à la Berlinale, Crépuscule de György Fehér sort de sa cachette de « grand film oublié ». Hautement référencés (Tarkovski, Fritz Lang…), les films du cinéaste ne sont pourtant qu’au nombre de deux. Majoritairement dans l’ombre de son mentor Béla Tarr, Fehér a néanmoins travaillé sur de grandes œuvres. Crépuscule est un puissant polar, doté d’une noirceur humaine à vous clouer sur place. Il prouve le talent inouï de ce réalisateur hongrois.
« Le corps de la petite Anna, huit ans, est découvert au fin fond d’une forêt. Deux inspecteurs sont dépêchés sur place pour mener l’enquête et retrouver le dangereux tueur en série qui a déjà sévi deux fois dans la région. Lorsque leur unique suspect met fin à ses jours, les enquêteurs décident de partir sur une nouvelle piste, s’aidant pour cela d’un dessin de la dernière victime… »
Le grand méchant loup
Crépuscule nous plonge directement dans une ambiance sinistre. Accompagné de chants religieux, qui vont de plus en plus assombrir le récit, le film nous cueille directement avec le meurtre d’une petite fille. Ce n’est pas le premier, ni le dernier. Les plans de György Fehér sont fixes, longs, laissant la vie se dérouler dans le cadre, tout en jouant avec la profondeur de champ/contrechamp.
Avec Crépuscule se vit une expérience unique, rare, surtout pour un polar. Les dialogues sont peu présents, pourtant le malaise s’installe tranquillement, pendant que nous, spectateurs, sommes de moins en moins sereins.
Le silence n’a jamais autant parlé. D’une puissance déroutante avec une musique incommodante, le travail sonore est de plus en plus terrifiant à mesure que le film avance, et l’on vit un moment horrifique. C’est ici que la technique de György Fehér se démarque. On demeure dans l’horreur sans jamais la voir, transformant une enquête sur un tueur en série en psychanalyse des tréfonds de l’humanité.
Alors que l’on voudrait savoir qui est ce meurtrier, on s’engouffre dans la folie et la question de moralité que notre propre imagination va créer avec l’aide de l’enquêteur. A force d’être devant ces longs plans, où rien ne se passe, notre cerveau imagine le pire. György Fehér ne montrera jamais ce tueur que de dos, comme si, finalement, nous étions cet assassin de petites filles.
M le maudit
Dans Crépuscule, aucune caméra ne vous aura jamais maintenu autant en tension que celle de György Fehér. Le film est une expérience unique mais insoutenable, qui va longtemps nous hanter par l’angoisse qui en émane. Le noir et blanc de Miklós Gurbán est d’une réussite frappante, montrant le désespoir, la cruauté inhumaine de la nuit, qui emporte ces petites filles. Et le titre prend tout son sens.
L’ennui, l’incompréhension comme la fascination sont également de mise dans Crépuscule. Souvent à travers la caméra du cinéaste, de longs moments dénués d’action se déroulent sous nos yeux. C’est évidemment pour mieux jouer avec l’imagination la plus tordue de chacun d’entre nous. György Fehér vient déjouer les codes du polar/policier tout en utilisant son propre langage.
Finalement, Crépuscule n’est que contradiction, un film noir terrifiant, qui vous capture dans un moment de cinéma à la fois déroutant, inoubliable et monstrueusement glauque.