Derrière son aspect méta-cinéma, Comme une actrice de Sébastien Bailly – avec Julie Gayet – relève le défi de jouer entre une réalité tragique et les limites du fantastique.
Dans Comme une actrice, Anna (Julie Gayet), actrice proche de la cinquantaine, est quittée par son mari, Antoine (Benjamin Biolay), metteur en scène de théâtre. Prête à tout pour ne pas le perdre, elle va jusqu’à prendre l’apparence de la jeune femme avec laquelle il entretient une liaison. Mais ce double jeu pourrait se retourner contre elle…
C’est un fait, dans le milieu audiovisuel, les femmes, déjà sous-représentées, disparaissant de l’écran dès leurs 50 ans. Une femme sur deux est âgée de plus de 50 ans, pourtant elles ne représentent que 7% des personnalités montrées sur les écrans. A travers notre échange sur leur film Comme une actrice, le réalisateur Sébastien Bailly et l’actrice Julie Gayet nous font part de leur regard sur la fragilité de cette période, sur la reconquête de soi.
Tout d’abord, qu’est ce qui vous a donné envie d’écrire le film et de le réaliser ?
SÉBASTIEN BAILLY : Je vivais la fin d’une histoire et je me suis dit que j’aimerais bien revivre ses débuts, voir à nouveau cette jeune femme, sous une autre apparence peut-être. J’étais envieux du prochain homme qui allait la découvrir, sans aucun passif. Je voulais être un autre, au moins quelques heures et la rencontrer à nouveau. Je me suis dit qu’on pouvait faire ça au cinéma, en poussant la logique jusqu’au bout. La cinquantaine est un passage difficile, la société met beaucoup de pression sur les femmes notamment sur la représentation, le corps… et c’est pire chez les actrices ! Ce n’était pas forcément l’idée de faire un film fantastique mais de traiter des sentiments et des peurs que l’on a à cet âge en poussant avec le fantastique.
Et vous avez directement pensé ce projet comme un long métrage ?
SÉBASTIEN BAILLY : Immédiatement en long métrage, oui. J’ai fait pas mal de courts métrages, avec beaucoup de plaisir. La suite logique était donc de faire un long métrage, même si les cinéastes ont aujourd’hui la possibilité de se demander si leur histoire est un long métrage de cinéma, une fiction pour la télévision, une série, une mini série… La dernière configuration permet d’étendre son récit sur 5/6 heures sans forcément se lancer dans un format de 2 ou 3 saisons – souvent conditionnées au succès. On peut se permettre de se demander quel est le bon format.
« Le cinéma a toujours été une machine qui dévore les corps, il a toujours eu besoin de chair fraiche »
Il y a un aspect quelque peu méta, puisque dans le récit votre personnage principal est actrice, comme l’indique le film. Vous vouliez porter votre propre regard sur le cinéma ?
SÉBASTIEN BAILLY : Oui c’est ça ! Pour connaitre un peu les acteurs, comme ils sont très exposés, ils sont très sensibles au regard, au désir, au jugement. Pour une actrice qui approche de la cinquantaine, ce n’est pas évident, d’autant plus qu’on leur propose moins de rôles. Le cinéma a toujours été une machine qui dévore les corps, il a toujours eu besoin de chair fraiche, c’est ça qui est terrible. Et ce n’est absolument pas représentatif de la réalité puisqu’en France on a 50% de la population qui a plus de 50 ans, mais on ne nous offre que des histoires avec des jeunes trentenaires.
Et vous Julie, vous jouez une femme qui se redécouvre à travers une multitude d’autres femmes…
JULIE GAYET : Oui, au delà de jouer une actrice, je joue une femme qui est fragilisée par son âge. On ressent le temps qui s’écoule dans un couple qui s’est éloigné… C’est une période où elle perd confiance en elle-même. Mon plus grand plaisir du tournage, c’était de travailler avec toutes ces actrices. On réfléchissait ensemble aux gestes, à comment elles pouvaient être elles et moi à la fois. Je suis en admiration face aux actrices, qui ont pourtant beaucoup moins de rôles que les hommes (notamment au théâtre).
SÉBASTIEN BAILLY : Un des défis du film, c’était d’avoir ce personnage d’Anna qui a différentes incarnations, et que le spectateur arrive retrouver un bout d’elle au travers de toutes ces autres femmes. Il y avait une sorte de passage de relais d’une comédienne à l’autre. Au delà des acteurs, on peut penser qu’il y a une âme dans chaque personnage qui arrive à passer. Qu’on arrive à la suivre aussi facilement, c’est assez impressionnant.