Civil War d’Alex Garland : Aux armes citoyens

Deux années après le très singulier Men, le réalisateur britannique Alex Garland est de retour avec Civil War. Road trip au cœur d’une guerre civile sur le territoire américain, le film cristallise de manière effrénée toutes les angoisses d’un Occident trop sûr de lui.

Retour à une narration nette et précise pour le réalisateur Alex Garland. Civil War, dans son ambition, peut se permettre de s’éloigner des nœuds scénaristiques dissimulés tout au long de l’œuvre, comme il a pu le faire dans son précédent film. Ceci faisant, il compose des séquences d’une grande justesse, aux inspirations pops et aux rouages techniques maitrisés. C’est fluide, clair et l’histoire coule, mais l’académisme et la propreté de l’exécution ne se retrouve-ils pas paradoxaux avec le sous-texte désiré ?

“Une équipe de journalistes parcourt les États-Unis en proie à une guerre civile sans précédent. Ces derniers ne sont alors qu’armés de leur matériel. L’armée américaine, de son côté, est chargée de tirer à vue sur les reporters.”

© Metropolitan

Cristalliser la peur

Faut-il être Américain pour parler honnêtement des États-Unis ? Oui, non, la réponse n’importe au final que très peu dans le récit proposé par Alex Garland. Parfois, un œil extérieur peut émettre un bilan tout aussi alarmant, notamment quand un pays si puissant s’enfonce jour après jour dans un avenir de plus en plus sombre. Britannique, mais tout aussi observateur que le reste du monde occidental sur la situation politique outre-Atlantique, Alex Garland construit un récit dystopique, nécessairement en miroir de notre propre réalité.

Ce qui glace le sang, dès le premier quart d’heure du film, c’est que la guerre civile – ultra violente – qui touche le pays est ancrée dans notre époque. Non pas 50 ans en arrière ou 10 ans dans le futur, mais bien avec nos technologies et nos bases de vie occidentales des années 2020.

Droit Civil

Afin de servir son propos, le cinéaste pousse avec justesse les traits de ce que le Nouveau continent semble offrir de pire aujourd’hui : l’individualité et cette valeur d’auto-défense impliquant la profusion d’armement dans le civil. Si Alex Garland ne semble pas vouloir se mouiller dans la représentation des figures politiques dans son œuvre, il questionne davantage la place que le commun des Américains devrait revendiquer à l’aube d’une élection sous très haute tension.

Dans une scène irrespirable, où nos protagonistes (Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny et Stephen McKinley Henderson) se retrouvent confrontés à l’incarnation de l’Américain suprémaciste blanc – interprété par Jesse Plemons – toute la question de la responsabilité de retrouve posée. A-t-il choisi la violence en réponse à la situation ? L’homme est-il nécessairement mauvais ? Peut-on encore simplement se parler ?

L’angoisse d’un pays

Si le cinéma outre-Atlantique a pu nous apprendre une chose sur ses angoisses, c’est la paranoïa des Américains que le chaos envahisse un jour leurs maisons. Toujours gendarmes du monde, les États-Unis ont pris soin au fil de l’Histoire de tenir les guerres le plus loin possibles de chez eux. De la Guerre des Mondes aux Avengers, la destruction et la désolation de leurs villes incarnent la peur d’un pays qui n’a jamais connu de menace extérieure sur son propre territoire.

Et pour cela, Alex Garland s’en donne à cœur joie. De la bande dessinée, avec les autoroutes désertes de The Walking Dead ou du jeu vidéo avec l’attaque de Washington filmée à la manière d’un Call of Duty, les références issus de la pop culture trouve habilement leur place dans le récit. Travaillés avec soin, les seconds plans et décors usent déjà d’une imagerie post-apocalyptique, alors que la tempête ne fait que commencer…

Une copie trop propre…

Si le choix de proposer un road movie s’avère fonctionner parfaitement dans le récit, quelques réserves sont à émettre dans la tournure initiatique que prend le film. Jessie (Cailee Spaeny), jeune journaliste téméraire, se retrouve prise sous la houlette de Lee et Joel (Kirsten Dunst et Wagner Moura), deux reporters expérimentés. Si la prestation des acteurs est juste, le récit d’apprentissage et la relation parents-enfant que le film développe ne leur permettent pas de proposer des moments iconiques de cinéma.

De plus, ce type de narration étant légion, le spectateur se retrouve devant une copie sans surprise, sans piment et au final sans couleur. Et à ce niveau, c’est très dommage. Dès que le récit s’aventure en dehors de ces relations, on voit tout le potentiel. Par exemple, quand nos héros arrivent dans une ville de campagne, où la vie semble suivre son cours sans se soucier de la guerre qui les entoure – à l’acception d’un détail intriguant – Alex Garland crée un monde fascinant dont le plus simple des figurants parait porter un lourd passé. Mais trop rares, ces moments de profondeur n’arrivent à pas salir une copie beaucoup trop propre.

…qui en joue

Toutefois, difficile de ne pas se délecter quand l’image, elle-même, joue de cette haute définition. Alex Garland, fidèle à ses précédents films, s’amuse sur une image nette avec de gros contrastes entre le premier et le second plan. Il arrive ainsi à créer de la profondeur et du gigantisme quand cela lui est nécessaire.

Dans Civil War – et sans trop en dévoiler – la dernière demi-heure joue de ce procédé pour une grande scène d’action épuisante physiquement pour les protagonistes comme pour les spectateurs. Les mouvements de caméra, couplés à des décors immenses semblant prendre vie et se battant ainsi face à nos héros rappellent le pouvoir d’incarnation de l’image et du cinéma.

© Metropolitan

Civil War aurait pu être un grand film d’action, ou une dystopie mémorable. Pas assez puissant pour rappeler l’importance des reporters de guerre, mais dépeignant avec justesse les angoisses d’un pays, il manque un équilibre entre la volonté de réaliser un film social et sa valeur ludique pour retenir un spectateur avec des explosions constantes sifflant dans les oreilles. Mais à leurs habitudes, chaque objet de cinéma d’Alex Garland se regarde avec curiosité et ne manquera pas d’intriguer.

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