Cinéthème #2 | Le cinéma récent a été marqué par la polémique MeToo. Elle a changé à jamais la vision de diversité au cinéma. Décryptage.
Le New York Times et le New Yorker publient en octobre 2017 un article retentissant sur des témoignages d’harcèlements, d’agressions sexuelles et de viols. Dans les jours qui suivent, des victimes d’agressions sexuelles dans le monde du cinéma libèrent leur parole. Elles proclament de la même manière, le début de l’ère #MeToo. Ce seisme se verra prolongé par une médiatisation mondiale et une réaction logique. Tout le monde utilise le #, et l’ère MeToo touche alors tout le monde, les personnalités hollywoodiennes comme des personnes lambda.
Au total, 107 femmes témoignent contre le magnat d’Hollywood. Dont 14 qui ont été victimes de viols par ce même producteur. A quelques semaines de son procès qui ouvrira l’année 2020, la justice américaine opte pour un accord de principe d’indemnisation des victimes présumées à hauteur de 25 millions de de dollars.
La chute d’Harvey Weinstein, un symbole
Lors de son procès, le célèbre producteur déchu Harvey Weinstein fit une déclaration provocante dans le New York Post. « J’ai fait plus de films réalisés par des femmes et sur des femmes que n’importe quel producteur, et je parle d’il y a 30 ans (…) pas de maintenant, (…) où c’est à la mode. J’étais le premier ! J’étais le pionnier ! ». Perceptible comme une manière de s’auto-proclamer innocent, Harvey Weinstein exprime pourtant une vérité dure à entendre.
Affaire à suivre début janvier, mais cette décennie a vu émerger une notion de diversité importante (déjà présente auparavant comme le soulignait Weinstein, mais encore plus forte aujourd’hui) : à la fois dans le milieu du cinéma indépendant comme dans les blockbusters. Après le rachat de Lucasfilm par Disney, la saga Skywalker longtemps marquée par des personnages masculins imposants comme Anakin, Obi-Wan, Luke & Han décide d’offrir un premier rôle sensationnel à Daisy Ridley. L’interprète de Rey saura être un modèle pour les petites filles. Jugez du peu : le box-office de cette dernière trilogie (par film) s’élève à plus d’1 milliard d’USD. Certains cinéastes établissaient déjà des films forts avec des personnages féminins marquants. Ces héroïnes sont aujourd’hui plus nombreuses et permettent à des jeunes filles de pouvoir s’y attacher.
La libération de la parole
Un film important sur l’égalité homme-femme mais surtout sur son inégalité est sorti. Il s’agit du documentaire This Changes Everything de Tom Donahue et produit par Geena Davis à l’aide des études de son institut. 80% des médias proviennent des Etats-Unis et la représentation est sans aucun doute l’élément le plus important puisque l’imaginaire collectif des enfants est marqué par les représentations sexistes, irréelles et déformées.
Certains films marquent le coup et font penser que les choses changeront avec MeToo, mais ce n’est pourtant pas le cas (c’est ce qui avait été prédit après le film Thelma & Louise de Ridley Scott). L’impact, quant à lui, est bien réel puisqu’une étude prouve que la pratique du tir à l’arc a été très prisée suite aux sorties d’Hunger Games & Rebelle.
L’homophobie toujours présente
Cette décennie a également eu une avancée formidable mais tardive. Celle de la légalisation du mariage homosexuel (2013 en France, 2015 aux Etats-Unis). On a pu découvrir des histoires d’amour homosexuels comme dans Love is strange, I Love You Philip Morris, A Single Man, La Vie d’Adèle, Call Me By Your Name… Certains diraient que ce n’est pas nouveau. Mais c’est lorsque l’on lit les commentaires de certaines personnes qu’on comprend mieux à quel point c’est important de montrer une représentation plus réaliste et une équité sexuelle constante.
La plupart des critiques (partant d’une homophobie évidente) se centrent sur le fait qu’il y a de plus en plus de personnages homosexuels dans les films et les séries télévisées. Or, il n’y a rien d’anormal, c’est simplement la représentation jusqu’à maintenant qui était éronnée puisqu’inexistante. Et c’est une constance qu’il va falloir avoir en persévérant malgré les détracteurs. Pour qu’un jour, on ne se dise plus qu’il y a des personnages gay, mais qu’il y a tout simplement des personnages. Ce que l’on fait déjà pour des personnages hétérosexuels.
Des vieux réflexes
On pourrait alors se poser la question de savoir comment respecter cette ère MeToo sans non plus passer d’un extrême à un autre… L’industrie du cinéma est mouvementée suite aux polémiques, mais elle n’agit pas pour autant. Si l’on prend l’exemple de Roman Polanski, accusé pour agressions sexuelles et viols à plusieurs reprises aux Etats-Unis : en 2019, il a été invité à défiler sur le Festival du cinéma américain de Deauville, puis il a gagné le Lion d’argent à la Mostra de Venise et a sorti son film J’Accuse qui a fait, malgré les polémiques actuelles et une nouvelle accusation, le meilleur démarrage de sa carrière.
En 2020, il est nominé pour les Césars et le Prix Lumière. L’industrie le protège, et pire encore, elle le soutient jusqu’à lui accorder des moments privilégiés à des cérémonies réputées. Si l’industrie ne réagit pas, c’est aux spectateurs de faire son travail. Puisque sans spectateurs il n’y a pas de film. Plus de 8000 films sortent chaque année, il serait bon d’éviter ceux qui sont réalisés/produits/joués par des hommes problématiques. Sans le soutien du public, l’industrie ne pourra plus protéger de tels prédateurs, et le cinéma sera plus sûr. Il faut plus que jamais continuer à soutenir le cinéma fait par des hommes et des femmes qui méritent cette attention.
On se retrouve dans 10 ans pour voir si les choses auront changé suite à MeToo. D’ici là, continuons à promouvoir ensemble le cinéma au féminin.
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