Chienne de Rouge de Yamina Zoutat : Le sang comme bourreau salvateur

Chienne de rouge Yamina Zoutat

Chienne de Rouge de Yamina Zoutat, ou le sang comme bourreau salvateur

C’est le 8 novembre, assis dans un bon fauteuil rouge-sang, que vous pourrez apprécier les éclaboussures et les tâches offertes par Yamina Zoutat dans son dernier film Chienne de Rouge distribué par Shellac.

Le rouge est déjà une couleur lourde de sens et maîtresse dans les arts, et 2023 à été gâtée en ce sens. Et c’est sous toutes ses formes et teintes que le plus saint des fluides nous est présenté à travers différents portraits et mises en scènes, qui pulvérisent le récit en plusieurs fragments à l’instar d’une gerbe qui répand ses gouttes autour d’elle. 

“Une femme se réveille un matin avec ce désir, filmer du sang. Dans Paris, sa ville, elle fait des rencontres : un convoyeur, une greffeuse, une chimère… Et puis elle se souvient d’un procès qu’elle a suivi il y a longtemps. Le procès du sang contaminé. Pendant ce temps, au fond d’une forêt, une chienne mène sa traque.”

Sur un bateau de bois, des hommes s'affairent et se regroupent. Ils se penchent au-dessus d'une baleine harponnée dont le sang se répand dans l'eau. Le rouge se mélange au bleu sombre et aux blancs des reflets, donnant au meurtre une allure d'oeuvre.
©Shellac

Sang un mot

Mais cette femme, la réalisatrice Yamina Zoutat, filme aussi en réponse à une interdiction statuée par sa hiérarchie en 1999 lorsqu’elle était la seule femme présente pour couvrir le procès du sang contaminé : « Tu ne montreras pas de sang ». Alors que le liquide était le lien de tous les cas représentés et bien sûr l’élément principal de ce procès, la frustration ressentie par la chroniqueuse reparaît ici dans son omniprésence de fond comme de forme. 

Qu’il soit rose ou brun, fluide ou coagulé, ses occurrences physiques sont, certes, marquantes, mais pas aussi visuellement directes qu’on le pourrait croire. Son omniprésence, au-delà de ses évidentes occurrences physiques, passe par les couleurs d’un tapis de feuilles mortes, d’un mur de métro, du vernis des ongles ou du, ici bien nommé, rouge à lèvres; sans oublier qu’il est, tout comme lors du procès de 1999, le lien qui réunit tous les personnages présents à longueur de films, quel que soit leur âge, genre, ou racines.

Car c’est à travers une diversité enivrante que le long-métrage se développe. En mélangeant les époques et les genres, nous présentant un documentaire actuel ou des images d’archives et des extraits de films, Chienne de rouge se tisse comme une toile unicolore -mais non sans teintes-, car c’est médicalement ce qu’est le sang : un tissu. 

Tous de rouge vétus

Tout ici se fait d’échos et de liens, rappelant qu’en tous temps et tous âges le sang nous unit. Dans une voix-off parsemée ça et là, la réalisatrice nous avoue plus jeune avoir voulu une peau « blanche, sans histoire ». Le tout mis en parallèle avec des images de la Guerre en noir et rouge, le film nous intime que rien n’échappe au fluide, pas même l’Histoire. 

Mais avec tous ses personnages et liens entremêlés, Chienne de rouge nous présente le sang avant tout comme un vecteur filial, un lien de parenté insidieux et parfois maladif. Il est souvent éprouvé comme une base identitaire, dû à la génétique qu’il porte. En convoquant une « chimère » (médicalement, une personne dont les origines génétiques se mélangent suite à une greffe), la réalisatrice nous induit à repenser nos liens avec la famille, la société, mais surtout avec nous-même.

Le père d'un des personnage principaux lui montre le seul trésor qu'il garde de son ancienne vie, avant d'avoir dû quitter son pays à cause de la guerre. Deux coupes à champagne, très fines, qu'il fait tinter en les entrechoquant. Sa fille écoute le bruit se perdre lentement avec attention.
©Shellac

Enfin, c’est un long-métrage qui donne à penser. Tant sur la symbolique de la place du sang et de ses variations de couleurs, que sur les traitements médiatiques comme médicaux d’un fluide aussi méconnu et incompris alors qu’omniprésent, tant dans nos corps que nos esprits.

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