Après son documentaire Cow (2021), Andrea Arnold fait un retour à la fiction avec le crûment poétique Bird, présenté en compétition au Festival de Cannes 2024.
Premier long métrage de fiction d’Andrea Arnold depuis American Honey en 2016, Bird confirme (s’il le faut encore) la captivante filmographie de la réalisatrice britannique. Après Cow (2021), documentaire bovin puissant sur l’exploitation animale, Arnold met à nouveau une bête à l’honneur dans le titre de son dernier opus. Bird n’est ceci dit pas un documentaire sur les oiseaux, même si les volatiles ont une place importante au sein du récit, mais bien une fiction dotée des motifs fétiches de la cinéaste. Nouvelle pierre à l’édifice de la patte désormais reconnaissable entre mille d’Andrea Arnold, Bird surprend pourtant par de nouvelles pistes et expérimentations, que l’on n’avait jusqu’alors jamais vues dans le travail de la réalisatrice.
« À 12 ans, Bailey (Nykiya Adams) vit avec son frère Hunter (Jason Buda) et son père Bug (Barry Keoghan), qui les élève seul dans un squat au nord du Kent. Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer et Bailey, qui approche de la puberté, cherche de l’attention et de l’aventure ailleurs. »
La patte Arnold
Le cinéma d’Andrea Arnold s’est construit film après film, et il est aujourd’hui relativement aisé d’en tracer les contours, pourtant bien plus complexes qu’ils n’y paraissent. Empreinte depuis belle lurette d’un réalisme social, la filmographie de la réalisatrice ne peut cependant se réduire à cette approche cinématographique purement naturaliste. A travers des personnages souvent issus des classes sociales mises de côté, Arnold soulève aussi des enjeux sociétaux et politiques nichés dans les relations humaines qu’elle met en images. Avec une volonté certaine de donner de la voix aux laissés-pour-compte, Andrea Arnold illustre régulièrement ces invisibles par le biais de récits d’apprentissage portés par des personnages féminins hauts en couleurs malgré la précarité et la violence ambiantes.
Jackie dans Red Road (2006), Mia dans Fish Tank (2009) ou encore Star dans American Honey (2016), Andrea Arnold a souvent filmé les portraits émouvants de jeunes femmes rebelles et marginales, dont les personnalités se révèlent progressivement au fil de la narration. Techniquement parlant, la réalisatrice britannique a également un œil observateur et sensible que beaucoup ont depuis tenté de reproduire. Caméra portée aussi vive que flottante au plus près de ses personnages, bandes originales pop et ondulantes, éléments de décors à profusion, inserts poétiques toujours bien vus sur des animaux… Pourtant, Arnold pousse certains curseurs de ce qui édifie jusqu’ici son œuvre dans Bird, ce qui peut dans un premier temps désarçonner certains de ses aficionados.
Bailey au pays des merveilles
En effet, si Bird emprunte rapidement les pas de ses aînés par ses choix de mise en scène et la nouvelle mise en lumière d’une héroïne jeunette en proie à des expériences perturbatrices dans un environnement dysfonctionnel, le film sort bien vite du pur récit d’apprentissage ancré dans le réel à la Arnold. Et si la cinéaste a souvent frôlé paradoxalement le genre du fantastique par le passé grâce à sa mise en scène mouvante, elle saute ici le pas dans le dernier acte du long métrage, nous rappelant par endroit Le Règne Animal. Un changement de ton complètement inattendu de la part de la cinéaste, qui fait toutefois sens et articule tout ce qui précède dans le récit, notamment la présence du mystérieux Bird (extraordinaire Franz Rogowski), vagabond étrange et gracieux affublé d’une jupe longue avec lequel se lie d’amitié la jeune fille.
Concernant le motif récurrent d’animaux dans le cinéma d’Andrea Arnold, il prend ici une large ampleur des plus fascinantes. Oiseaux, crapauds, chiens, papillons, chevaux et même Bird, par son aspect volatil, offrent autant de présences réconfortantes et salvatrices pour Bailey afin d’échapper à l’insoutenable réalité de son existence et de la violence humaine. La jeune fille trouve également réconfort et protection derrière son écran de téléphone, filmant ceux face auxquelles elle se sent en danger. Elle capture par ailleurs régulièrement des oiseaux en plein vol, métaphore de son envie d’échappée et de liberté au delà de son quotidien morne dans une banlieue du Kent. Aussi vulnérable que combative, Bailey est une nouvelle protagoniste attachante et de haut vol imaginée par la réalisatrice.
Chrysalide arnoldienne
Loin de laisser sur le carreau les amateurs du cinéma d’Arnold, Bird dénote cette volonté sans faille qu’a la réalisatrice à sortir le réalisme social des sentiers battus. Généreux et débordant d’idées, le film tend vers une captation du réel aux notes magiques et singulières, sans jamais dénaturer l’univers de la réalisatrice. Arnold nous montre par ailleurs à nouveau qu’elle a un don tout particulier dans le choix de ses acteurs, professionnels ou non. Tandis que Barry Keoghan brille d’un éclat brut et captivant dans les traits d’un trentenaire paumé devenu père trop tôt, le trop rare sur nos écrans Franz Rogowski trouve douceur et grâce dans son personnage sous l’œil d’Arnold. Quant à Nykiya Adams, à l’image de Katie Jarvis (Fish Tank) et Sasha Lane (American Honey) avant elle, cette non professionnelle est la nouvelle révélation mise sous le feu des projecteurs par la réalisatrice.
On ne peut évoquer un film d’Andrea Arnold sans s’attarder un moment sur sa bande originale. Ici, rien ne bouge dans l’œuvre de la cinéaste. Nos oreilles ressortent comme toujours ravies, et ragaillardies par des tubes parfois totalement tombés aux oubliettes. Très pop rock pour son retour dans son Kent natal, la réalisatrice nous fait fredonner et onduler, entre autres, au rythme de Too Real de Fontaines D.C., The Universal de Blur, Yellow de Coldplay mais également, dans un genre un peu différent, de Cotton Eye Joe de Rednex. Avec Bird, Andrea Arnold offre une nouvelle réalisation passionnante et audacieuse, une variation autour du réalisme social qui lui permet d’explorer de nouveaux horizons créatifs. Ce qui nous rend d’autant plus impatients à l’idée de découvrir ses futurs projets.