Du cinéma algérien en France, nous n’avons que des bribes. Mais étrangement, c’est toujours plus de bribes qu’en Algérie même, où le cinéma est peu financé, souvent censuré et surtout mal distribué. Alors quand un film sort comme Barbès Little Algérie et cherche à faire le pont… le programme n’est-il pas trop vaste ?
Dans un premier film qui cherche pourtant à dire toute l’Algérie et toute la France avec peu de mots, Hassan Guerrar s’intéresse au quotidien des immigrés de Barbès, eux les laissés pour compte en plein centre de Paris, tels des indiens dans la ville. Guidée par un Sofiane Zermani (Fianso) très juste, la troupe d’acteurs s’approprie le quartier et en fait, il faut l’admettre, un véritable et beau Little Algérie.
“Malek (Sofiane Zermani) la quarantaine, célibataire, vient d’emménager à Montmartre et accueille bientôt chez lui son neveu Riyad (Khalil Gharbia) fraîchement arrivé d’Algérie. Ensemble ils découvrent Barbès, le quartier de la communauté algérienne, très vivant, malgré la crise sanitaire en cours. Ses rencontres avec les figures locales vont permettre à Malek de retrouver une part de lui qu’il avait enfouie, de renouer avec ses origines et de commencer à faire le deuil de ses disparus.”
La France algérienne
Par des truchements dont seule l’Histoire a le secret, les algériens sont devenus à la France ce que les français étaient à l’Algérie : la première communauté étrangère sur le territoire. Et l’une de ces émanations est le quartier de Barbès. Nichée en plein Paris, entre Gare du Nord et Montmartre, cette petite Algérie résiste encore et toujours à l’embourgeoisement de Paris, comme Belleville et Ménilmontant plus à l’est.
Et dans ce bouillon multiculturel que la classe politique fait mine d’ignorer, toute une histoire se crée, se noue et se défait. Il y a les algériens bien sûr, mais aussi les maghrébins, les subsahariens… toute une misère du monde pour laquelle la solidarité d)es petites mains vaudra toujours plus que celle de l’État.
De tout cela, Hassan Guerrar réussit à en transmettre l’essence. À un moment sanitaire dans lequel les rues vides faisaient paradoxalement rejaillir les interactions humaines, on voit le personnage de Sofiane Zermani et son neveu évoluer dans Barbès comme on le fait au bled finalement : partout, la porte est ouverte. Barbès Little Algérie est ainsi un film qui respire la vie, celle qu’on occulte quand vient le temps de faire une énième loi sur l’immigration.
143, rue du désert
Dans cette petite Algérie, la vie est ainsi étrangement faite. On est en France, on le sait, mais on sent comme une autre senteur dans l’air. Car la France d’Hassan Guerrar est multiculturelle, loin de ce que l’on voudrait nous imposer comme diktats sociaux. Autour du personnage judicieusement campé par la merveilleuse Adila Bendimerad, les hommes gravitent, aussi sûrs de leur indépendance qu’ils sont en réalité couvés par cette tenancière de café, chez qui, comme dans le Sahara, sa terrasse est un 143 rue du désert.
Entre quatre rues et deux pâtés de maison, c’est le royaume de la débrouille. Quand son neveu arrive, Malek (Fianso) se remémore ce que c’est d’être un algérien en galère. Embêté par cette nouvelle présence mais toujours protecteur, il retrouve en lui une âme d’entraide et apprend à mieux naviguer dans Barbès. Le ramadan aidant, il revit en communauté et gère mieux ses sautes d’humeur. Des cafés d’Adila Bendimerad aux pâtisseries de Soolking, et des vêtements d’Eye Haïdara à la charité de Clotilde Courau, Malek et Ryiad vivent l’expérience du vrai Barbès ; celle où l’enseigne Tati vaut plus que le Sacré-Cœur.
En attendant les hirondelles
Mais bien évidemment, la petite Algérie de Barbès n’est pas exempte des questions sociales qui irriguent la France malade d’aujourd’hui. Entre ses problèmes familiaux et la naïveté de son neveu, le personnage de Sofiane Zermani sait qu’il navigue à vue, mais continue malgré tout. À chaque fois qu’il croit gérer un sujet, il se rend compte qu’il n’en est rien. Et cela vaut autant pour sa chorba ratée que l’intégrité de son neveu, qu’il n’arrive pas à protéger des vicissitudes du monde.
Sans éviter quelques clichés sur les algériens de France, le drame qui se forme devant nos yeux n’en garde pas moins toute sa force. On pourra regretter quelques raccourcis et visions éculées, mais la frénésie qui s’empare du film d’Hassan Guerrar n’a d’égale que la fausse sérénité dans laquelle il nous plongeait jusqu’alors. Barbès Little Algérie est le genre de film que l’on pourrait qualifier de presque sériel, en ce qu’il enchaîne des saynètes qui s’étireraient à l’infini que l’on ne s’en lasserait pas. Autant de tranches de vies qui finissent toutefois par se télescoper dans un violent retour à la réalité, comme pour nous sortir de notre douce lévitation, entre une bonne chorba et un bon dessert café-zlabia.