À la tête de 59 longs-métrages durant sa carrière, le cinéaste japonais Takashi Miike est aujourd’hui incontestablement au panthéon des maitres de l’horreur. Ichi the Killer, Audition et Visitor Q sont des références dans le domaine de la J-Horror (horreur japonaise) et semblent incontournables chez les cinéphiles les plus aguerris. Souvent comparé à son compatriote Hideo Nakata, il ne fait nul doute que leurs œuvres transpirent d’une volonté empruntée à leur génération, tout en réussissant à se distinguer les unes des autres.
Shigeharu Aoyama, un producteur de films, est veuf depuis de nombreuses années. Son collègue de travail Yoshikawa lui propose d’organiser un faux casting afin d’y dénicher une nouvelle épouse. Durant l’audition, une jeune femme lui décolle la rétine : Asami Yamasaki. S’ensuit une étrange relation, qui va l’entraîner sur un terrain inattendu.
Une tendre violence
Le rythme que va tâcher de nous imposer Takashi Miike va influer énormément sur notre approche et notre entrée dans le récit. On pourrait le découper en trois morceaux relativement égaux. Tout d’abord, une véritable danse de la caméra, par des mouvements lents remplis de mélancolie et de regrets. On suit notre personnage, abattu et vaincu par les évènements de sa vie. Il est pensif et se laisse dépasser par les images intrusives de moments disparus.
Dans la seconde partie narrative, l’ambiance s’accélère. Aoyama (le protagoniste) retrouve une motivation, un sens dans son existence qui lui paraissait si fade. L’incarnation de cela se fait par la seule présence d’Asami dans sa vie. Si les yeux du spectateur continuent de caresser l’image dans des mouvements amples, le passage d’un personnage à l’autre apporte l’incarnation d’une forme de bonheur redonnant une once d’espoir aux scènes.
L’ultime acte du récit vient clôturer intelligemment toute la construction mise en place auparavant. Dans ses scènes insoutenables de torture, on revient à un rythme lent illustré par le regard désarçonné de son protagoniste. La cruauté est longue, orchestrée et cela la rend bien plus marquante à observer. Une forme d’hypnotisme s’installe, et Aoyama comme le spectateur se laisse prendre petit à petit…
Who’s bad ?!
Si le cinéaste a souvent été critiqué pour sa morale plus que limite, et notamment sur la place des femmes, Audition vient dérouter nos idées reçues. Sans remettre en question les propos du reste de sa filmographie, ici Takashi Miike semble poser des questions plus légitimes à son audience. Asami est-elle la méchante de l’histoire ? Rationnellement et avec notre code de conduite manichéen, le grand public semble pencher pour l’affirmer. Mais creusons un peu ce que raconte le récit.
Asami est une jeune femme abîmée et détruite par ses expériences personnelles. Son professeur semblait l’aimer d’un ignoble amour, au point de le matérialiser en mutilant l’enfant. Elle ne connaît pas le sentiment amoureux au sens « noble » du terme. Violence, soumission, désir et pouvoir. Ces mots résument les traumatismes de la jeune femme, exposant au public les bases de sa construction mentale.
Venons-en à Aoyama. Tout d’abord tourné comme un personnage sympathique du fait de sa triste histoire, il en perd tout le crédit au point charnière de son évolution : il décide d’organiser, par les pouvoirs qu’il possède, un casting factice pour y sélectionner sa future femme. La séquence illustre toutes ces prétendantes comme des proies à la seule merci d’un homme triste ne pensant plus qu’à ses désirs. Le patriarcat dans sa plus claire illustration. Asami ne s’impose-t-elle donc pas comme une âme détruite en quête de vengeance face à un système qui lui a gâché la vie ?
Takashi Miike signe avec Audition l’œuvre majeure et la plus complète de sa prolifique carrière. Un film passionnant, à redécouvrir en version restaurée 4K dès le 13 avril, qui s’inscrit dans une époque de l’horreur japonaise au même titre que les indémodables Ring et Dark Water de Hideo Nakata.