Asura de Hirokazu Kore-Eda : Les quatre filles de Monsieur Takezawa

Hirokazu Kore eda

Après Les Bonnes Etoiles (2022), L’Innocence (2023) et Makanai : Dans la cuisine des Maiko (2023), le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda est de retour sur Netflix avec la série Asura.

Dans un premier temps, espérons que la deuxième série de Hirokazu Kore-Eda en collaboration avec Netflix ne passe pas aussi inaperçue que la première. Injustement boudée par un trop grand nombre, Makanai : Dans la cuisine des Maiko (2023) était pourtant une merveilleuse pépite sérielle, qui nous plongeait avec douceur et poésie dans le quotidien d’une maison où cohabitent des apprenties geishas. A rattraper de toute urgence donc… Mais l’emballement est-il également au rendez-vous après le visionnage d’Asura, la nouvelle série du cinéaste japonais ?

« Quatre sœurs – Tsunako (Rie Miyazawa), professeure, Makiko (Machiko Ono), femme au foyer, Takiko (Yu Aoi), bibliothécaire, et Sakiko (Suzu Hirose), serveuse – se retrouvent pour la première fois depuis longtemps lors d’un jour d’hiver. Takiko pense que leur père, Kotaro (Jun Kunimura), a une maîtresse et un enfant illégitime. Bien que les autres sœurs trouvent cela impensable, elles promettent de cacher cette information à leur mère Fuji (Keiko Matsuzaka). Cependant, cette révélation met en lumière des conflits et secrets qui pèsent dans la vie de chacune des sœurs. »

© Netflix

Les backstages d’Asura

A l’origine de ce drame filial qui fait la part belle aux femmes, il y a un roman, Ashura no Gotoku de Kuniko Mukoda, romancière et scénariste japonaise qui a axé bon nombre de ses écrits sur le quotidien et les relations familiales. Elle a par ailleurs écrit une version pour la télévision de son roman, baptisée Like Asura, série diffusée pour la première fois sur la chaîne japonaise NHK en 1979. Alors que sa carrière bat son plein, Kuniko Mukoda perd tragiquement la vie dans un crash aérien en 1981, après avoir reçu le prix Naoki pour ses nouvelles Hanano Namae, Kawauso et Inugoya en 1980. Le remake de cette série à succès est un rêve de longue date pour Hirokazu Kore-Eda, admiratif du travail de la romancière qui a posé au fil de ses écrits les fondations narratives des drames familiaux japonais.

Lorsque l’on connaît les thèmes de prédilection du cinéaste japonais (la famille, l’enfance et leurs secrets..), il n’est guère étonnant que le travail de Kuniko Mukoda l’ait inspiré dans l’écriture de ses précédents projets, et sa dernière née.

Une légère différence de construction sépare pourtant les deux versions sérielles d’Ashura no Gotoku. Celle de la fin des années 1970 se scinde en deux parties distinctes : la partie 1 s’étalant sur les trois premiers épisodes, puis la partie 2, du quatrième épisode au dernier. La version de Kore-Eda floute cette séparation, préférant narrer l’histoire de façon cohérente jusqu’à l’épisode 3, puis de mettre plus en lumière la trajectoire des deux benjamines dans la seconde partie, puisqu’elle redistribue les cartes au sein des rapports entre les quatre sœurs.

Femmes, il vous aime !

Comme toujours dans le cinéma de Hirokazu Kore-Eda, le motif de la famille est important, voire crucial. Et Asura ne fait pas exception à la règle. Représentation de sœurs, oui, mais la série est aussi (et surtout) un portrait épatant de femmes. Par le biais de Tsunako, Makiko, Takiko et Sakiko, le réalisateur dresse en effet le portrait complexe et bouleversant de femmes prises en étau entre le fait de dire la vérité ou de garder le silence. Une interrogation revient par ailleurs à plusieurs reprises dans le déroulé de la série : « Une femme est-elle vraiment heureuse lorsqu’elle vit sans faire de vagues ? ». Questionnement qui enrobe à lui seul le noyau aussi âpre que délicat d’Asura, dont le récit rappelle parfois malgré lui Les Quatre Filles du Docteur March (2019) de Greta Gerwig.

Entre non-dits, tromperies, vacheries entre frangines et réconciliations, la série nous plonge dans le quotidien de cette sororie haute en couleurs, où le conflit permanent qui semble les caractériser camoufle finalement l’amour profond qu’elles se portent les unes envers les autres. Derrière les mots cruels qu’elles peuvent se balancer en pleine poire, l’humanité de ses protagonistes féminins illumine chacun de leurs échanges. Au détour d’un geste ou d’un regard, capturé avec l’éternel œil doux et délicat de Kore-Eda, Asura déborde de nuances subtiles et d’authenticité pure en dépeignant des femmes aux destins différents, soudées par leur lien filial indéfectible.

© Netflix

Sororie chérie

On met peu de temps avant de s’attacher à chacune des sœurs, tant elles sont bien écrites et merveilleusement interprétées par les épatantes comédiennes Rie Miyazawa (Le Samouraï du Crépuscule, Hana), Machiko Ono (Suzaku, Tel Père, Tel Fils), Yu Aoi (Birds Without Names, Les Amants Sacrifiés) et Suzu Hirose (Notre Petite Sœur, The Third Murder). Entre l’aînée Tsunako, veuve et maîtresse d’un homme marié, Makiko, clouée à son rôle de mère au foyer et suspicieuse quant à la fidélité de son mari, Takiko, la « coincée » de la meute qui tente d’apprivoiser ses émotions, et Sakiko, la benjamine et fan numéro une de son boxeur de copain pourtant très compliqué à vivre, Asura parvient à rendre ses protagonistes, imaginées pourtant à l’origine à la fin des années 1970, profondément modernes – malgré quelques petits passages délicieusement désuets dans la réaction notamment de certaines sœurs.

Appuyée par la mise en scène lumineuse et charmante du cinéaste japonais, mais également par la bande originale flottante aux notes parfois ondulantes signée Tsukasa Inoue, Hidehiro Kawai, Ryô Kishimoto et Fox Capture Plan, Asura est la très jolie série made in Japon pour démarrer le cru 2025 avec beauté, poésie et douceur. Asura vous donnera également envie de dire des mots doux, ou piquants, à votre propre fratrie histoire de mettre les choses bien à plat en ce début d’année. Petite touche cosmologique pour conclure : « Asura » fait référence aux asura dans le Bouddhisme japonais, qui sont des demi-dieux, gardiens et protecteurs de la loi et du Bouddha. Jolis miroirs de la sororie Takezawa, unie contre vents et marées malgré son flot d’émotions multiples, et parfois contraires.

Avec Asura, Hirokazu Kore-Eda prouve une nouvelle fois son statut de cinéaste enchanteur, en dressant le portrait captivant et subtil de quatre sœurs qu’on est bien triste de quitter lors de l’épisode final.

En streaming sur Netflix à partir du 9 janvier 2025

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