Avec Animale, film de clôture de la 63ème Semaine de la Critique, Emma Benestan livre un western fantastique intriguant sur fond de tauromachie.
Après les comédies romantiques Belle Gueule (2015) et Fragile (2021), la réalisatrice franco-algérienne Emma Benestan et l’actrice française Oulaya Amamra se retrouvent pour une troisième collaboration et changent de registre pour l’occasion. Avec Animale, le duo pose ses valises dans les paysages indomptés de la Camargue et propose une relecture féministe des codes bien huilés du western, ponctuée de sauts dans le surnaturel.
Entre western moderne et film fantastique métaphorique, Emma Benestan dresse le parcours mouvementé d’une jeune femme qui doit se faire une place coûte que coûte dans un environnement dominé par les taureaux et les hommes.
« Nejma (Oulaya Amamra) s’entraîne dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défit les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitants. Très vite, la rumeur se propage : une bête sauvage rôde… »
100% Testostérone
Animale nous embarque dans le milieu méconnu des manades, élevages de troupeaux de taureaux libres. Au sein de ces exploitations ancestrales, ce sont les « gardians » qui gèrent ces microsociétés blindées de testostérone. Vivant sur place, ils s’occupent des taureaux, les guident et les marquent au fer rouge, chevauchent et débourrent leurs chevaux et s’abreuvent de boissons non détox’ le soir venu dans le bar local. Ces hommes participent également aux courses camarguaises où les « raseteurs », sans protection, se retrouvent dans une arène face à un taureau ; le but étant de feinter au mieux la bête pour parvenir à attraper la cocarde sur son front sans finir encorné.
C’est dans cet univers hautement masculin que Nejma tente de se faire respecter par ses collègues jour après jour, étant de surcroît la première femme à vouloir « raseter ». Et si sa gouaille et sa détermination sont reconnues par les gars de la manade, Nejma doit encore faire ses preuves et affronter sa peur dans l’arène.
Emma Benestan, en ancrant son héroïne dans ce cadre viriliste assumé, interroge les rapports de force et de genres auxquels se retrouvent constamment confrontés Nejma. Son épée de Damoclès est la désappropriation de son identité, mise en scène par le biais de séquences nocturnes ou dans l’arène, angoissantes, qui révèlent le mal-être et la douleur interne profonde du personnage.
Minotaure à la provençale
Avec son cadre camarguais peuplé d’hommes machos épris de nature, de dur labeur, de soleil cuisant et de poussière, Animale revêt rapidement les pourtours d’un western de l’âge d’or. La mise en scène, léchée et colorée, sublime les paysages sauvages, la beauté des couchers de soleil et la vigueur sans faille apparente des taureaux et des cavaliers.
Certains plans m’ont par ailleurs rappelé la sublime séquence d’ouverture d’As Bestas (2022) de Rodrigo Sorogoyen, capturant au plus près le travail des « aloitadores », ces hommes qui immobilisent des chevaux à mains nues. A cet amas bien (trop) couillu, Emma Benestan contrebalance les codes classiques du western masculiniste en optant pour le point de vue d’une femme, et fait par la suite muter son récit dans un mélange des genres audacieux.
A l’ère où le cinéma français se montre de plus en plus ambitieux en matière de genre, la réalisatrice n’a pas à pâlir devant le récent Le Règne Animal de Thomas Cailley. Entre film fantastique, drame féministe et body horror, Animale se joue des codes pour mieux déployer son récit, qui flirte avec le mythe casse-gueule du Minotaure sans jamais virer au too much.
Emma Benestan prend d’autre part un plaisir communicatif à filmer l’ambivalence qui sied aux taureaux, fascinants et dangereux, calmes et agressifs, immobiles au milieu des steppes brumeuses. Leurs grands yeux noirs et leurs souffles graves hantent longtemps après visionnage, tant la réalisatrice parvient à en faire des protagonistes intimidants et imprévisibles, vecteurs à plusieurs reprises du maintien de la tension empreinte d’horreur qui parcourt le film.
Nocturnal Animal
Habile dans son talent à capturer le Sud de la France, sa contrée natale, la réalisatrice née à Montpellier prouve une nouvelle fois qu’elle est une cinéaste palpitante dans sa façon de filmer les décors et des personnages en quête d’eux-mêmes, emplis de sensibilité et de paradoxes. A la luminosité chaleureuse qui ponctue Belle Gueule et Fragile, Emma Benestan confère ceci dit à son nouveau long métrage une autre lumière, plus inquiétante et crépusculaire. Les séquences nocturnes sont en effet une pierre angulaire d’Animale, théâtre de tous les secrets et source de tension tenace pour le spectateur.
Mais si le suspense et le mystère fonctionnent dans les deux premiers tiers du long métrage, la nature de l’élément déclencheur laisse pourtant un petit goût amer dans la dernière partie. Appuyé maladroitement par des indices et plans superflus qui viennent trop tôt dans l’intrigue, le véritable sujet d’Animale (que nous ne vous spoilerons pas) devient dès lors prévisible. Ce didactisme altère un ensemble qui, pourtant n’a pas besoin de cette révélation, si louables et bonnes soient les intentions au départ. Cela ajoute un surplus psychologique, là où le film est pourtant doté d’une subtilité et d’une portée fantastique bluffantes et suffisantes.
À l’arrivée du générique final, la déception n’est ceci dit, qu’assez légère. L’audace et la multiplicité des pistes réflectives que proposent Animale demeurent malgré tout ambitieuses et salutaires.