A Scene At The Sea : L’appel du large

A Scene At The Sea de Takeshi Kitano s’offre une nouvelle jeunesse en streaming sur Mubi.

Troisième film du réalisateur japonais Takeshi Kitano, A Scene at The Sea n’a été que tardivement découvert par le public européen. Aujourd’hui largement apprécié par celui-ci – et plus encore par le public français – A Scene At The Sea s’apparente sans aucun doute à l’acte de naissance de ce que l’on appelle aujourd’hui le « style Kitano ».  Des personnages mutiques – ici par la force des choses – comme figés dans un état contemplatif perpétuel, mués par la mélancolie ; mais aussi un attrait pour la mer, cette vaste étendue qui appelle au vagabondage de l’esprit, sans oublier une évidente poésie de tous les instants.

Claude Maki et Horiko Oshima dans A Scene at the Sea

A Scene At The Sea, c’est avant tout l’histoire d’une obsession. L’obsession de Shigeru, jeune éboueur sourd-muet, pour le surf après la découverte d’une planche mal en point lors de la collecte des ordures journalière. Shigeru verra en cette trouvaille le moyen de s’extirper de sa condition de travailleur précaire et handicapé, et s’investira corps et âme afin de progresser dans un sport dont il ne connaît rien. D’abord raillé et méprisé par les jeunes surfeurs locaux, Shigeru se verra progressivement érigé en une sorte de mascotte silencieuse pour ce groupe, sous l’influence d’un ancien champion de surf et commerçant notoire de la ville. Cette ascension se fera sous le regard émerveillé de Takako, sa petite amie, elle aussi sourde-muette.

Comme un témoin silencieux, Takako sera toujours présente pour Shigeru, jusqu’à en devenir son ombre. Kitano choisit d’ailleurs de ne jamais filmer directement les progrès de Shigeru, mais de les évoquer par des plans fixes qui révèlent les multiples déclinaisons du visage de sa bien-aimée. Les prouesses des surfeurs seront aussi rarement filmées, Kitano préférant mettre en scène l’attente de « la » vague, en plaçant ses personnages de dos ou de face, face à l’immensité de l’océan.

Mais l’obsession de Shigeru – désormais attaché à son nouveau statut – sera telle qu’il ne fera plus qu’un avec la mer, devenant métaphoriquement une vague parmi tant d’autres (une idée que l’on retrouvera plus tard dans Le Grand Bleu de Luc Besson). Désormais seule avec la planche de Shigeru et les souvenirs d’un temps heureux, on se demande si Takako sera encore capable de contempler l’océan, dans l’attente vaine de « la » vague qui lui ramènera l’amour perdu.

A Scene At The Sea partage avec les films suivants de Takeshi Kitano cette fascination pour la mer et sa puissance aussi destructrice que révélatrice. Pour Nishi et son épouse dans Hana-bi comme pour les yakuzas de Sonatine, la mer est une échappatoire, un gage de liberté. Mais chez Kitano, cette liberté ne peut s’exercer que par la mort – qui survient de manière systématique à la fin du récit –  érigeant ainsi la mer en un véritable théâtre funeste.

Claude Maki dans A Scene at the Sea

On ne peut que vous conseiller de profiter de la sortie du médiabook de Jokers Shop pour (re)découvrir l’un des plus beaux films de Takeshi Kitano. Sublimé par la bande-originale de Joe Hisaishi (qui signe la plupart des films de Kitano ainsi que ceux de Miyazaki) A Scene at the Sea est de ces films qui en disent long sans trop de mots et atteignent des sommets de poésie et de beauté par leur minimalisme.

A Scene at the Sea est en streaming sur Mubi

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