Avec Voyages en Italie, Sophie Letourneur poursuit son exploration du couple amoureux.
Après Énorme qui questionnait la grossesse confrontée aux désirs et aux inspirations artistiques, la cinéaste interroge ici l’amour face à la parentalité. Tout comme pour son précédent film où elle s’inspirait de sa grossesse, Letourneur construit Voyages en Italie autour de sa propre expérience d’un séjour italien avec son mari.
Sophie (Sophie Letourneur) parvient à convaincre Jean-Phi (Philippe Katherine) de partir en vacances pour raviver la flamme de leur amour. L’Espagne ? Ça ne l’intéresse pas. L’Italie ? Il l’a déjà fait avec toutes ses ex. La Sicile alors. Car d’après-lui, « ce n’est pas tout à fait l’Italie ». Laissant leur enfant derrière eux, vont-ils réussir à se retrouver dans ces quatre jours de vacances ?
Un homme et une femme
« C’est donc un(e) amoureux(se) qui parle et qui dit ». La phrase de Roland Barthes pourrait ouvrir Voyages en Italie. Car à la genèse de ce film il y a l’amour, dénué de toute niaiserie. La candeur de ce programme se traduit dans un dispositif très épuré : un homme et une femme face caméra. Aux histoires d’amour, la réalisatrice retire l’histoire pour ne garder que l’amour, sans la dramatisation qui l’accompagne trop souvent. Ce qui se déroule est davantage une extension du quotidien qu’une romantisation de ce dernier. Ainsi, Sophie Letourneur incarne son propre rôle, et Philippe Katherine reste étonnement en retenue. Il arbore d’ailleurs une attelle durant presque tout le film, comme pour contenir les excentricités caractéristiques de son jeu, et qu’il garde les pieds sur terre.
« Il faut trouver l’extraordinaire dans l’ordinaire » dit Sophie au début du film. Voyages en Italie y travaille tout du long en nous montrant des scènes qui pourraient sembler dénuées d’intérêt (le choix de la destination de vacances, la location de scooter, etc.). Mais c’est précisément dans ces moments que Letourneur parvient à en extraire de l’amour. Car ce qui l’attire avant tout, c’est le réalisme. Et dans la vie, tout n’est pas toujours intense. L’amour n’est pas une chose qui apparaît pendant un baiser et disparaît la minute suivante. Il se rejoue à chaque instant, dans chaque interaction, dans chaque regard. C’est dans ces interstices que se déploie la beauté de ce film. Cette latence a pour effet premier d’accentuer l’intensité du climax, véritable éruption.
Voyages en Italie se joue en réalité sur deux tableaux. Dans le dernier tiers du film, le spectateur découvre que les images sont un flash-back. Le couple est à Paris, dans le lit conjugal, et fait le récit de cette excursion Sicilienne. Généralement, dans les roms coms, l’amour s’impose de fait aux personnages. Letourneur fait tout l’inverse et confronte les sentiments à la dialectique du couple. Ils enveloppent ainsi leur amour dans la forme la plus rationnelle qui soit : le discours.
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Voyages, Voyage
La comparaison avec Rossellini et son Voyage en Italie est inévitable. Les deux cinéastes ont un attrait assumé pour le naturalisme, et les deux films traitent d’amour et de corps étrangers en Italie. Mais le S à Voyages est un des indices laissant présager que le film de Letourneur n’est pas un simple remake. Évidemment, la cinéaste a totalement conscience de cet héritage et, comme pour l’expurger, le confronte frontalement. Dès leur arrivée en Italie, Jean-Phi évoque au cours d’une discussion Rossellini, et plus particulièrement Voyage en Italie. Sophie, que l’on devine cinéaste, n’a pas vu les films du grand maître italien. La discussion s’arrête aussi sèchement qu’elle fut abordée, créant une certaine ironie.
Quoi qu’il en soit, Voyages en Italie contient tout de même des accents rosselliniens. Tout comme le cinéaste italien, Letourneur est une cinéaste qui conçoit ses films d’après nature (il est intéressant de noter qu’elle voulait être peintre). C’est le réel qui prévaut. Les personnages de fiction y sont placés dans un second temps. Les scènes de voitures (d’une grande importance puisqu’elles symbolisent le voyage) suivent donc le même procédé que dans le film de Rossellini. Le champ des personnages est celui de la fiction. Le contre-champ sur la rue est celui du documentaire, qui préexiste toujours.
On pourrait s’amuser à trouver d’autres clins d’œil au cinéaste italien, comme le changement de conducteur sur le scooter, Stromboli, etc. Mais le film de Letourneur demeure essentiellement différent dans son déroulement et son apogée. Le montage de Voyages en Italie est bien plus saccadé et ellipsé. Il en ressort une esthétique plus amateur qui participe au charme du film. De même, chez Rossellini, le dénouement final fige les personnages dans un instant bien souvent cathartique. Au contraire, le film de Letourneur – donc le quotidien des personnages – se poursuit à la suite du baiser et des vacances. La réalisatrice laisse ainsi entendre que la vie n’est pas une comédie romantique et qu’elle perdure bien après le panneau FIN.
Sophie Letourneur confirme encore une fois son statut très singulier dans le cinéma français. Film après film, et malgré un certain succès, elle s’obstine à conserver sa radicalité qui forme tout son talent. Voyages en Italie part de son expérience personnelle mais parle plus globalement d’amour, de ses contradictions et de sa place dans notre quotidien. Derrière l’apparence ordinaire de ces images, l’extraordinaire beauté des sentiments transparait.
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