Un pitch digne d’un film social des frères Dardenne, ce serait presque à s’y méprendre. En réalité, Vittoria n’est autre que le quatrième film du tandem italo-américain , qui aborde le thème de l’adoption.
Après Butterfly (2018) et Californie (2021), le duo pose sa caméra à Torre Annunziata, station balnéaire de la métropole de Naples située au pied du Vésuve, pour tisser le portrait de Jasmine, une coiffeuse hantée par le désir d’adopter une fille. Les cinéastes reprennent ici un personnage secondaire du deuxième film cité.
« Jasmine (Marilena Amato) est coiffeuse à Naples où elle vit avec son mari et ses trois fils. Depuis le décès de son père, elle est hantée par un rêve récurrent qui accroît son désir d’avoir une fille. Malgré l’incompréhension de sa famille et au risque de tout bouleverser, elle décide d’entamer les démarches pour adopter. »

Jusqu’au bout de ses rêves
Présenté à la Mostra de Venise 2024 et produit par Nanni Moretti, Vittoria s’impose comme une œuvre d’une brute délicatesse, filmée façon documentaire et basé sur des événements réels, où l’intime se frotte à l’universel avec une authenticité désarmante.
Dans son rêve réitéré, Jasmine (incarnée par une Marilena Amato d’une intensité instinctive) voit son père tenant la main d’une fillette. Projection d’un manque viscéral pour cette mère de trois grands garçons qui, loin d’être un simple gimmick narratif, irrigue le récit d’une mélancolie diffuse, ancrée dans la réalité sociale d’une ville filmée sans complaisance ni folklore.
Les réalisateurs, fidèles à leurs racines documentaires, capturent la texture du quotidien. Comme les conversations en dialecte, ou le ballet des clientes dans le salon de coiffure, avec une caméra qui sait se faire discrète, presque complice. La mise en scène dépouillée, aux forts accents de néoréalisme mais sans la solennité d’une fresque sociale, est resserré autour de l’intériorité de Jasmine.
Les gros plans fréquents parviennent avec brio à capturer le grand huit émotionnel de la protagoniste principale, oscillant entre espoirs et désillusions face à une très lente et complexe procédure d’adoption. Ses silences, ses regards, ses sourires, disent plus que bien des dialogues.
Marilena Amato, déjà aperçue dans Californie, porte Vittoria avec sa présence magnétique aux côtés de Gennaro Scarica, son mari à l’écran comme à la ville, incarnation de la figure patriarcale dans le film.
Des acteurs amateurs dignes de professionnels
Difficile de croire que nous avons à l’écran deux comédiens non professionnels tant l’acting est convaincant. « Quand nous avons commencé le processus d’écriture, il était clair dès le départ que Marilena et son mari Gennaro seraient capables d’interpréter leur propre histoire, nous permettant ainsi de fusionner l’expérience de la vie réelle avec les possibilités de l’écriture, le tout restitué au spectateur de manière directe et émotionnellement forte » justifient Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman. Aussi, le long-métrage se distingue par son refus de l’onirisme. Le rêve n’est pas une évasion, mais un miroir douloureux de la réalité.
Avec une pudeur qui, parfois, frôle une retenue excessive. Certains spectateurs, habitués aux récits plus démonstratifs, pourraient trouver son rythme trop austère et cette sobriété, comme une limite. Car l’ensemble manque parfois de ruptures ou de prises de risque formelles. La progression linéaire de l’histoire, centrée sur le désir d’adoption de Jasmine et ses luttes intimes, reste prévisible. Ce style hybride, entre fiction et documentaire, signature des réalisateurs, donne parfois l’impression de ne pas pleinement s’engager dans l’une ou l’autre direction.
Car le cinéma d’Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman est moins flamboyant que les grandes fresques de Paolo Sorrentino, moins lyrique que les paraboles d’Alice Rohrwacher. C’est un cinéma de la vérité nue, d’une humanité saisie dans le cocon de sa fragilité. C’est précisément dans cette économie de moyens que Vittoria trouve sa force.
