Après une décennie qui les a vu régner sur le cinéma français, d’Intouchables à Hors normes, Éric Toledano et Olivier Nakache ont fait un détour par la case télévision, pour ausculter les angoisses d’une société confinée. Ce passage consommé, la paire revient au cinéma avec une œuvre sur une autre angoisse, tout aussi actuelle et incontournable : celle de la fin du monde.
Dans Une année difficile, le duo Toledano-Nakache s’attaque à deux problèmes majeurs de notre société ultra libérale : l’augmentation du coût de la vie et le réchauffement climatique. Mené par Noémie Merlant, Jonathan Cohen et Pio Marmaï, le film réussit à jongler entre ces deux questions sans jamais en négliger une au détriment de l’autre, pour un résultat aussi pertinent qu’hilarant.
« Surendettés, Albert et Bruno se tournent faute de mieux vers le milieu associatif pour survivre. Ils y croisent le chemin de militants écologistes et s’enrôlent dans leurs actions, plus attirés par la promesse d’une vie où tout est gratuit que par réelle conviction. »
La fin du monde peut-elle être prise à la légère ?
Entre comédie et satire sociale, Éric Toledano et Olivier Nakache veulent toujours jouer sur une ligne de crête, en prenant parfois le risque que l’équilibre penche respectivement d’un côté (Le sens de la fête) ou de l’autre (Samba). Mais le duo a aussi et souvent réussi l’alliage parfait, à l’image d’Intouchables ou de Hors normes, dont le succès tient à la sincérité du propos. Le cinéma français grand public n’est en effet jamais meilleur que quand il accomplit les deux facettes de la notion « populaire », à savoir la transmission d’un message sérieux, enrobé dans une histoire comique pour faire rire et réfléchir, en même temps.
Là est la réussite d’Une année difficile. Et on était en droit de nourrir des doutes, quand le sujet est aussi sérieux que l’urgence écologique. Mais là où d’autres auraient cédé à la comédie en portrayant les militants écologistes et leur cause comme un sujet de dérision, les réalisateurs réussissent à leur rendre hommage tout en les rendant plus amènes et approchables. Et pour atteindre cet objectif, rien de mieux que l’immersion en conditions réelles, comme l’a fait l’équipe du film avec les activistes d’Extinction Rébellion.
Oui
On pourra évidemment reprocher au film son approche – peut-être simpliste – des clichés sur l’écologie. D’aucuns trouveront cela trop gros, ou peut-être irrespectueux. Mais au-delà de ces considérations, qui sont intimes à tout un chacun et ne peuvent former la base d’une critique, il faut accorder au film une écriture ultra précise. Toutes les blagues fonctionnent, et aucune séquence comique ne tombe à l’eau. Et c’est ce désamorçage des enjeux qui permet ensuite de leur donner toute leur force. On ne peut que saluer le travail contre les réalisateurs, qui ajoutent même dans les scènes les plus graves des pointes d’humour qui font toute la différence.
Avec cet alliage réussi, le message social passe mieux que s’il était asséné avec un sérieux qui tend parfois à l’abscons. On est tour à tour émus par la situation des personnages principaux, qui se retrouvent à la rue à cause d’évènements qui pourraient arriver à n’importe qui. Finalement, Une année difficile est tout cela à la fois ; une œuvre hilarante, ce qui est déjà une réussite en soi vu la myriade de comédies ratées qui sortent chaque année en France, mais aussi un film habile, qui s’attèle à une tâche aussi dangereuse que gratifiante : savoir rire de la fin du monde, avec suffisamment de recul, de détachement mais aussi de subtilité pour que l’ensemble fonctionne.
Merlant, Marmaï, Cohen…
Pour soutenir le propos et s’assurer que le message ne soit pas mal interprété, il fallait pour Toledano et Nakache trouver un casting à la hauteur. C’est chose faite avec Noémie Merlant, Pio Marmaï et Jonathan Cohen, tous trois parfaits dans leurs rôles. Nous avons en premier lieu Noémie Merlant, qui campe l’écologiste révélée sur le tard après une jeunesse bourgeoise, et qui cherche donc à surcompenser son militantisme dans une quête éternelle de légitimation. Dans son interprétation, Noémie Merlant a su concentrer tous les clichés prêtés aux militants écologistes (l’intransigeance, le « wokisme ») tout en délivrant tout de même un message puissant et juste.
En effet, si le propos peut parfois s’avérer limité, il reste néanmoins pertinent et filmé avec justesse. On ressort du film, si ce n’est changés, au moins convaincus, si c’était encore besoin, de l’urgence écologiste et de l’anxiété qu’elle peut représenter pour notre génération et celles d’après, ce qui peut parfois pousser à ne pas vouloir procréer pour ne pas infliger de catastrophes à nos enfants.
…un trio d’acteurs à l’impressionnante alchimie
Mais au-delà de Noémie Merlant, c’est surtout le duo formé par Pio Marmaï et Jonathan Cohen qui brille. Le premier, que l’on attendait pas à une telle précision comique, est au centre de toutes les scènes les plus importantes du film. Il est de l’introduction, qui permet aux réalisateurs de porter un regard critique et hilarant sur la folie consumériste de notre société, mais aussi de la scène pivot au milieu du film, lorsque qu’il tente avec son acolyte une mission désespérer : entrer par effraction dans la Banque de France pour effacer leurs dettes.
C’est dans cette scène que la précision de l’écriture de Toledano et Nakache est la mieux mise en avant, les deux réalisateurs réussissant à ne jamais perdre de vue leurs deux sujets, à savoir la lutte écologiste et celle contre la vie chère, pour finalement délivrer un message qui ne pourra que résonner avec le public à l’heure actuelle.
Aux côtés de Marmaï, Jonathan Cohen brille aussi dans un rôle taillé pour lui, à tel point qu’on ne sait pas s’il joue un personnage où s’il ne s’imagine pas juste dans sa situation. Rarement aura-t-il été aussi drôle. Chaque punchline venant de lui est réussie, sans jamais tomber dans le trop-plein.
Sérieux tout en étant incroyablement amusant, Une année difficile est une nouvelle réussite pour Éric Toledano et Olivier Nakache. Si certains pourront leur reprocher leur légèreté face à de tels enjeux, nous avons au contraire pensé que c’est la force du film, plus encore même que son écriture ou que ses moments comiques. Et pour couronner le tout, nous ne pouvons finir cette critique sans évoquer la scène de fin, qui est sûrement le moment le plus poétique de toute la carrière de Toledano et Nakache. Sans savoir si nous évoluons dans la réalité ou dans un rêve, les réalisateurs apportent la touche finale à leur œuvre en tirant vers la comédie romantique, tout en faisant écho aux grands évènements de ces dernières années, dans une valse parisienne touchante et belle, quelque part entre Woody Allen, Jean-Pierre Jeunet et Claire Denis.