Si Nanni Moretti attirait l’attention pour les discours socio-politiques et la subversion de son cinéma, il semblerait qu’il ait décidé avec Tre Piani de s’en tenir à la simplicité et aux relations humaines. Résultat : un film creux qui se perd dans sa narration et place en retrait le spectateur et, semble-t-il, son propre metteur en scène.
Diffusé en compétition au 74ème festival de Cannes et sorti en France en fin d’année 2021, Tre Piani de Nanni Moretti sera disponible le 16 mars en DVD et blu-ray chez Le Pacte. L’occasion de revenir sur le treizième film du réalisateur italien qui a divisé la presse et le public. Adapté du roman Trois étages de l’auteur israélien Eshkol Nevo, Tre Piani suit les histoires de trois familles différentes vivant dans le même immeuble qui prennent pour point de départ un accident qui les réunit. A travers le récit des péripéties découlant du même soir, le film croise les tourments des personnages traversant divers drames les poussant à se poser des questions sur eux-mêmes et leurs proches.
Un metteur en scène en retrait
Tre Piani est le premier film de la filmographie de Moretti n’ayant pas été imaginé et écrit par son réalisateur ; un choix qui explique sans doute sa faiblesse créative. En effet, bien que l’on présente une sincérité et une naïveté dans la démarche, rien n’est fait pour apporter de l’intensité à l’histoire. La volonté de rester dans la simplicité, se rapprocher des gens et de leurs problèmes est tout à fait louable mais à condition de s’y impliquer réellement et d’impliquer son spectateur.
Dans Tre Piani, on se demande à qui Nanni Moretti veut s’adresser tant les personnages sont exempts de toute authenticité. La mise en scène ne se place jamais au service du récit et se contente de suivre l’action, à la manière d’un téléfilm pas trop vilain. Même les scènes clés du film, censées être importantes et émouvantes, ne parviennent plus à nous toucher car la mise en scène ne suit plus. L’image est froide et impersonnelle, le montage dépourvu de toute originalité nuit sans arrêt au rythme et la musique dénote totalement avec l’ambiance voulue, donnant ainsi au film des allures de parodie. Moretti ne croit pas en ses personnages et leur attribue sans arrêt des actes et des répliques insensés qui privent le spectateur d’un quelconque sentiment d’identification. Un comble pour un film qui tente pourtant de se concentrer principalement là-dessus.
Une construction maladroite
Alors que la scène d’ouverture pose les bases d’un film choral qui s’annonce réfléchi dans la manière dont il compte lier ses différentes lignes narratives, cet élan se perd dans le reste du film. Le film ne parvient pas à s’affranchir des trois histoires initiales qui évoluent peu et se trainent. Il ne sait d’ailleurs pas les faire communiquer entre elles et transitionne souvent brutalement. Leurs croisements semblent forcés, notamment dans une scène d’union finale mélodramatique tout à fait artificielle cochant simplement une nouvelle case du genre.
Au fil du film, on sent que sa structure se perd et que Moretti ne sait plus comment le construire ni le faire évoluer. On tombe régulièrement dans la facilité des ellipses de cinq ans injustifiées, sûrement utilisées pour faire avancer l’histoire mais qui en réalité font perdre toute son évolution et celle de ses personnages. Et cette maladresse s’étend jusqu’à une résolution finale naïve donnant l’impression que Moretti ne savait pas comment conclure. Différant de celle du roman, cette fin dénote avec le reste du film et apporte une morale sortie de nulle part en incohérence totale avec les relations installées entre les personnages (des conflits réglés sur un regard, des secrets dévoilés sans raison dix ans après).
Un message naïf et incertain
S’il était de mise de souligner la probable sincérité et les bonnes intentions de Nanni Moretti, on ne peut que constater que le cinéaste ne cesse de se s’égarer dans ce qu’il souhaite raconter. Tout en essayant d’être moralisateur, le film se perd dans un vaste panel de sujets dramatiques dont certains débarquent subitement, comme sortis d’une liste de sujets d’époque à traiter absolument. On pense notamment à la sous-intrigue « sociale », à propos de clandestins délogés sous les yeux de la femme d’un magistrat (incarnée par Margherita Buy) : intrigue si mal amenée qu’elle donne l’impression que le metteur en scène n’a aucune idée de ce dont il parle et n’a aucune volonté de faire trop d’efforts pour en parler. Il semble alors qu’il tente de faire adopter ses discours sur le monde et sur l’humain à des personnages que rien n’a mené vers ces conclusions.
Ainsi, Tre Piani ne semble avoir l’audace d’oser aucun discours sans pour autant avoir la sensibilité de proposer simplement une histoire touchante en raison du peu d’implication de la mise en scène. Peut-être que s’il n’était pas si moralisateur, il aurait gagné plus de sympathie. Le film laisse un goût d’amertume et de déception, mais non généralisés au reste de la carrière du cinéaste, qu’on sait autrement plus brillante. Tre Piani s’apparente ainsi à un pari manqué, un film mineur.
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