Après être passé par Sundance et la Berlinale plus tôt cette année, The Outrun de Nora Fingscheidt débarque enfin dans les salles obscures françaises. Ce film tourmenté porté par Saoirse Ronan nous a-t-il convaincu ? Réponse ci-dessous.
Si Nora Fingscheidt peut sembler inconnue au bataillon, peut-être que son premier long métrage de fiction Benni (2019) vous dit quelque chose. Un film poignant sur l’enfance et le besoin d’amour, porté par la petite tornade Helena Zengel, qui a valu à la réalisatrice allemande de nombreuses récompenses en festivals. Avec The Outrun, elle s’attèle ici à l’adaptation du roman éponyme de la journaliste Amy Liptrot publié en 2018, mettant à nouveau en lumière une héroïne en détresse.
« Rona (Saoirse Ronan), bientôt la trentaine, brûle sa vie dans les excès et se perd dans les nuits londoniennes. Après l’échec de son couple et pour faire face à ses addictions, elle trouve refuge dans les Orcades, ces îles du Nord de l’Écosse où elle a grandi. Au contact de sa famille et des habitants de l’archipel, les souvenirs d’enfance reviennent et se mêlent, jusqu’à s’y confondre, avec ceux de ses virées urbaines. C’est là, dans cette nature sauvage qui la traverse, qu’elle trouvera un nouveau souffle, fragile mais chaque jour plus puissant. »
Déstructurellement Vôtre
Récit torturé et sensible d’une jeune femme en proie à ses addictions, The Outrun captive d’emblée par son montage déstructuré, à l’unisson de la cacophonie interne qui gangrène l’esprit de son héroïne. S’appuyant la plupart du temps sur des moments clefs de la vie de son personnage principal, Nora Fingscheidt remet par ce biais continuellement en question les conclusions hâtives et impressions primaires du spectateur sur Rona.
Notre opinion sur ce personnage dévasté et imprévisible se forge au gré de la matière que nous offre la réalisatrice. Par la déconstruction narrative de son récit, Nora Fingscheidt laisse le spectateur reconstituer le cheminement interne de sa protagoniste dans son parcours d’abstinence douloureux et incertain.
La mise en scène, immersive, utilise des floues et dédouble régulièrement le visage de son héroïne avec une caméra instable pour mieux rendre compte des états constants de manque et ceux, plus rares, de lâché prise du personnage. Et si la temporalité est difficile à appréhender au départ, la réalisatrice a l’idée, pas inintéressante, de rendre distinctives les différentes périodes du récit par le biais de la couleur des cheveux de Rona. Du rose au bleu, du bleu au blond platine, du blond platine au orange… Nora Fingscheidt donne également à voir un certain « réchauffement », celui de l’accès à un niveau de bien-être meilleur de son personnage. Ceci, par les couleurs de plus en plus chaudes et vives de sa tignasse, malgré des phases de doutes et de rechutes inévitables.
Emportée par la houle
La quête de sevrage de Rona pour trouver un sens à son existence est boostée par son retour dans les terres qui l’ont vue naître et grandir. Réticente au départ à l’idée d’y retourner, par peur de voir ressurgir les traumatismes de son passé et de céder à la tentation d’un verre d’alcool, la jeune femme trouve une partie de son salut dans sa reconnexion avec les Orcades et ses habitants. The Outrun offre d’ailleurs des images d’Épinal à couper le souffle de ces îles nordiques écossaises, peuplées d’algues, de phoques et de falaises. Alors que les plans sont souvent serrés sur Rona, les séquences « carte postale » de son environnement revêtent des pourtours poétiques et grandioses en plan large.
Le travail sonore du film appuie par ailleurs la magnificence et l’indomptabilité des paysages traversés par la jeune femme. Du grondement de l’océan, aux vagues qui éclatent sur les falaises, en passant par le souffle puissant du vent, The Outrun parvient à capturer l’immensité et la force de la nature.
Le dépaysement est total et, à l’image de Rona, certaines séquences sublimes nous donnent envie de se retrouver face au vent et à l’Océan les bras en l’air, envahis soudain d’un sentiment de liberté indescriptible. J’ai à ce propos été émue lorsque Rona explique à demi-mot qu’elle sent parfois une connexion si profonde avec la nature qu’elle a la sensation de pouvoir influer sur la météo. Une réflexion émouvante qui a déclenché une pensée pour la « moi petite » face aux tempêtes.
Entre ombres et lumière
Malgré la part sombre évidente du long métrage, Nora Fingscheidt parvient à apporter une once de lumière à cette épopée rédemptrice par le biais d’éléments poétiques. Entre la légende des phoques de l’archipel et le mythe autour de la création de celui-ci, The Outrun devient par moment quasi expérimental, contemplatif et méditatif. Oscillant entre documentaire, images d’archives et animation, le film opte pour une forme libre, appuyant le trop plein de souvenirs, de connaissances, de découvertes et de créativité qui se mélangent dans la tête de Rona. Évoquant également les blessures psychologiques et intergénérationnelles, The Outrun fait également la part belle à l’importance de la famille, même dysfonctionnelle, et du lien humain.
Porté par l’hypnotique Saoirse Ronan, épatante dans ce personnage entre ombres et lumière, aussi explosive que fébrile, The Outrun parvient à dresser le portrait sombre et fascinant d’une jeune femme prisonnière de sa situation mentale et sociétale. Et si bon nombre de projets traitent de l’alcoolisme, force et d’avouer que le nouveau film de Nora Fingscheidt convainc par sa singularité et le traitement intense du cheminement interne de son héroïne vers la guérison. La séquence finale, l’une des plus jolies de ces derniers mois, promet par ailleurs de vous rester longtemps en mémoire après visionnage.