The Insider (Black Bag) de Steven Soderbergh : Agents pas très spéciaux

The insider black bag

Après la sortie de Présence le mois dernier, Steven Soderbergh est déjà de retour au cinéma avec The Insider (Black Bag).

Depuis ses débuts, Steven Soderbergh varie entre différentes propositions, oscillant entre expérimentations formelles multi-récompensées (Sexe, mensonges et vidéo, Traffic) et des succès publics conséquents (la saga Ocean’s Eleven pour ne citer qu’elle). The Insider (Black Bag), deuxième long-métrage du réalisateur sorti cette année après Présence, s’annonçait comme une relecture élégante du thriller d’espionnage, écrit par David Koepp (qui signe sa troisième collaboration avec le réalisateur depuis KIMI) et porté par Michael Fassbender et Cate Blanchett. The Insider  renoue-t-il avec les grands succès passés de Steven Soderbergh ?

« Le film suit George Woodhouse (Michael Fassbender), agent secret dont la vie bascule lorsque sa femme Kathryn (Cate Blanchett), elle aussi espionne, est accusée de haute trahison. Pris dans un jeu de dupes où se croisent manipulations et faux-semblants, il doit démêler une conspiration aux contours flous. »

(c) Universal Pictures

Meurtre un autre jour

Sur le plan formel, la maîtrise de la mise en scène de Soderbergh est indéniable : cadrages précis, montage aussi chirurgical que ses personnages, le réalisateur de Traffic déploie son arsenal méticuleux. Le film revendique en permanence une élégance à l’anglaise mise en valeur par le title card « Londres » en ouverture, ville mise à l’honneur dans le film comme symbole de tout un genre cinématographique. Par ailleurs le protagoniste George, incarné par Michael Fassbender, illustre littéralement cette facette. Précis et taciturne, son personnage rappelle celui de The Killer de David Fincher, dans une version débarrassée de sa vulgarité. Mais tout aussi névrosée.

On sent bien l’intention de Steven Soderbergh et de son scénariste David Koepp de pasticher l’aspect polar des films d’espionnage. Aussi, l’incursion d’une forme de néo-noir dans l’intrigue avec le mystère autour de la femme fatale Kathryn (Cate Blanchett) est un retour au source bienvenu, et c’est de facto l’aspect du film le mieux réussi. Un personnage dur à lire dans ses intentions véritables comme pouvait l’être Lauren Bacall dans Le Grand Sommeil. En outre, la relation sulfureuse entre Kathryn et George est l’occasion de nombreuses séquences amusantes où le charisme glacial des deux acteurs fascine, à la manière de Mr et Mrs. Smith de Doug Liman.

L’affaire est dans le sac (noir)

Et pour cause, dans The Insider, George doit déjouer une conspiration dans laquelle serait impliquée sa femme et un groupe « d’amis ». Seulement voilà, tous travaillent dans la même agence de renseignements et il devient rapidement clair que le moteur principal de l’intrigue sera de comprendre le rôle de Kathryn au sein du récit. Le film joue de façon très habile avec le whodunit, genre cinématographique qu’on voit de plus en plus dans le cinéma contemporain, en témoignent Les Huit Salopards de Quentin Tarantino ou la franchise A couteaux tirés de Rian Johnson.

The Insider s’inscrit dans cette lignée en accordant une place primordiale à la comédie. Soderbergh et Koepp se moquent avec nous du ridicule de ces personnages qui ressemblent davantage à de grands enfants en costume qu’à des agents secrets expérimentés. En effet, chaque personnage est motivé par son égo froissé par un autre, une quête de vengeance personnelle, d’adultère, de bizarrerie… autant de prétextes pour des scènes de dialogues amusantes en huis-clos, comme celles de diner chez les Woodhouse qui se muent en interrogatoire.

Loin de réinventer la poudre, l’aspect whodunit du film tient pourtant en haleine le spectateur avec des échanges verbaux jouissifs. On prend plaisir à voir ces personnages se contredire, s’empêtrer dans leurs mensonges ou cacher leurs desseins aux autres. C’est le cas d’une séquence en montage alterné autour d’un détecteur de mensonges et d’une technique spéciale du personnage de Marisa Abela pour parvenir à mentir. Ce qui fonctionne, c’est le décalage entre la sophistication du film et les agissements des espions pour mentir à tout prix. La mise en évidence du ridicule des personnages est assez savoureuse.

The Insider (Black Bag)
(c) Universal Pictures

Mission Insipide

Néanmoins, si le tempo comique des scènes en huis-clos fonctionne à merveille par instant, ce n’est pas le cas de toutes les séquences du film. Aussi, ce qui entoure les scènes de bureau sont finalement oubliables et cassent le rythme du whodunit. L’intrigue n’est en réalité pas prise au sérieux, ce qui est en soit logique pour une parodie. Mais le fait d’insister autant dessus font tourner certaines séquences à l’ennui poli, notamment les scènes de réunions stratégiques. Voilà un aspect fortement dommageable pour un film à la durée courte de 1h30. Car contrairement à ce que vend sa bande-annonce, The Insider n’est pas un film d’action nerveux. Ne vous attendez pas à un film comme Kingsman ou Mission Impossible. Il s’agit d’un polar lent, aux séquences étirées comportant beaucoup de dialogues. Ce qui est à la fois sa grande qualité et son principal défaut.

De ce fait, si leurs performances sont indéniablement justes, les séquences de psychologie entre Regé Jean-Page et Naomie Harris s’étirent dans le temps et reposent sur des mécaniques humoristiques lourdes, comme tout ce qui tourne autour du personnage agaçant de Tom Burke (pourtant épatant dans Furiosa) qui est trop caricatural pour m’intéresser un tant soit peu. De plus, si la présence au casting de l’ancien interprète de James Bond pouvait faire saliver les amateurs de films d’espionnage, ils seront rapidement déçus de constater le faible temps d’écran de Pierce Brosnan dans le long-métrage. En outre, le tandem Fassbender-Blanchett est indubitablement le duo de personnages le plus intéressant et le mieux développé.

Magic George

Si la mise en scène du film est maitrisée et illustre toujours autant la pertinence de son réalisateur, elle manque cependant de folie et d’énergie pour surprendre. Les scènes de discussions sont filmées pour la plupart de façon inventive, mais lorsque le rythme du film s’accélère, Soderbergh tombe dans une mécanique répétitive et finalement étonnement conformiste dans le derniers tiers du film. Par exemple, la séquence d’attaque de drone d’une voiture parait presque paresseuse dans son approche. Certes, son but est avant tout d’être un ressort humoristique, mais montre aussi les limites du dispositif de son metteur en scène. On peut également s’étonner de l’éclairage de séquences et de l’emploi de certains effets comme le flare, utilisé abusivement dans certaines scènes qui paraissent pourtant ne pas nécessiter un tel choix d’éclairage. On frôle le mauvais gout.

En fait, on a le sentiment que The Insider est un petit film qui a l’apanage des grands et qu’il lui manque peu de choses. La conclusion du film est éloquente en ce sens : si elle est plutôt drôle, elle laisse ceci dit un sentiment de « tout ça pour ça » en se concluant de manière presque trop abrupte. L’impression que laisse l’acte final rappelle celle de The Man from U.N.C.L.E de Guy Ritchie. L’accumulation de références, de rebondissements pour une intrigue prise par-dessus la jambe, finissent par provoquer un effet de saturation et de désintérêt.

Bien que plaisant à regarder, The Insider (Black Bag) ressemble davantage à un exercice de style qu’à une comédie-polar captivante. En déconstruisant les codes sans réellement les réinventer, Soderbergh livre une œuvre frustrante, où les nombreux effets de manche ne suffisent pas à cacher les faiblesses d’un film malheureusement mineur dans la carrière de son réalisateur.

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