On est toujours en droit de se demander ce qu’est la tendance du cinéma actuel. Y en a-t-il seulement une ? Si elle existe, The Gazer de Ryan J. Sloan la suit scrupuleusement.
Avec The Gazer (le « Regardeur » en VF), Sloan revendique les influences scopiques de Antonioni (Blow up) et Coppola (Conversation Secrète). Un long-métrage aussi lisse que profond, dans sa forme comme son contexte, qu’on prend plaisir à épier et décortiquer.
« Séparée de sa fille contre son gré, une jeune femme (Ariella Mastroianni) enchaîne les petits boulots tout en luttant contre un trouble mental dont elle ne connaît le nom, mais qui déforme sa perception du temps et de la réalité. À la réunion d’un groupe de parole qu’elle fréquente, elle accepte un deal mystérieux avec l’une des participantes. »

« T’as juste besoin d’un truc qui filme »
Déjà, dans le synopsis du site de la Quinzaine des Cinéastes, pouvait-on lire « Tourné avec un budget dérisoire mais dans un magnifique 16mm ». Et alors ? L’heure est-elle plus que jamais à la pellicule et au budget « dérisoire » ? Le film, écrit à quatre mains par le cinéaste et sa compagne qui y tient le rôle principal, a tout de l’idylle cinématographique étudiante. Que dire sur un film dont le contexte seul suffit à le rendre si attachant ?
The Gazer est une composition, un film réalisé le temps de nombreux week-ends par une équipe de passionnés. Un pari donc risqué, mais dont on sent toute la patience et la méticulosité. Écrit à quatre mains par le cinéaste et sa compagne qui tient ici le rôle principal, on y voit toute la sincérité, parfois presque naïve, du jeune cinéaste qui signe ici son premier long-métrage. La technique de son équipe permets, en plus, de mettre en avant les quelques excentricités de mise en scène que se permet Sloan.
La pellicule, mise en avant peut-être plus par effet de mode que pour son rendu visuel, apporte une vraie profondeur aux paysages urbains. L’histoire, qui ne s’épanche pas plus que ça sur les outils de son époque, s’en retrouve gagnante : l’aspect vintage de la pellicule vient rendre ses décors presque intemporels. Un choix d’esthétique bienvenu, dont la mise en forme du décor primant presque sur le personnage, mais toujours de manière « douce », pourrait être le revers timide de l’architecture magnifiée de Queer.
Mais seulement
Le rythme et le découpage suivent à la lettre, presque machinalement, les références que le réalisateur convoque. On peut y retrouver la course suffocante des thrillers paranoïaques des années 70. Mais loin de la profondeur politique de grands noms comme À cause d’un assassinat, toute la technicité du film et sa plastique tombent un peu à plat dû à son manque de profondeur.
Quand un film questionne sur sa place en tant qu’objet tendance, c’est souvent qu’il répond à des canons. The Gazer ne fait pas exception. Son contexte et son rendu ont tout du film charmant, qui vient chatouiller l’esprit sans choquer pour autant. Un soupçon de violence, quelques imbroglios qui ne font pas non plus trop mal à la tête.
Sans pour autant critiquer un film sur ce qu’il n’est pas, on est en droit de regretter cette formalité plastique et narrative. The Gazer est un bon film uniquement dans les limites de ce qu’on attend de lui. La tension est bien menée, la photographie est très belle, sa bande sonore est bien utilisée. Le film semble savoir tout cela et s’en contenter. Alors que ce même contexte aurait pu lui permettre une liberté créative qui ferait d’un simple thriller prévisible une pépite de tension.
