Poussif, Temps mort d’Ève Duchemin raconte trois trajectoires jonchées d’erreurs, trois personnages sur le papier attachants mais emprisonnés dans le cliché. Même l’excellent Karim Leklou perd ici de sa superbe, englué dans la caricature du scénario.
La réalisatrice Ève Duchemin, habituée à filmer le milieu carcéral dans plusieurs documentaires, notamment dans le très réussi En bataille – portrait d’une directrice de prison (actuellement disponible sur Arte.tv) s’attaque, avec Temps mort, à la fiction. Un premier long métrage laborieux miné par une écriture et un jeu d’acteurs faiblards.
« Pour la première fois depuis longtemps, trois détenus se voient accorder une permission d’un weekend. 48 heures pour atterrir. Pour renouer avec leurs proches. 48 heures pour tenter de rattraper le temps perdu. »
Une belle promesse
Dans son morceau Temps mort, titre éponyme de son premier album solo, Booba écrivait en 2002 : « Alors j’demande un temps mort parce qu’on se fait n****r au score / Un flow de porc / J’suis là pour ouvrir d’autres portes ». Dans son film au même titre que l’album du rappeur, Ève Duchemin tente, elle aussi, d’ouvrir d’autres portes. Celles de la prison. Trois hommes privés de liberté vont pouvoir, 48 heures seulement, y goûter à nouveau. Un pitch qui donne envie. D’autant que le milieu carcéral, pour la réalisatrice, c’est un peu son terrain favori. C’est, selon elle, « L’endroit où se prend le pouls de notre société ». Déjà autrice en 2016 d’un très beau documentaire sur une directrice de prison pour hommes, Ève Duchemin avait des arguments à faire valoir.
Mais la fiction est exigeante. Le scénario de Temps mort, nourri de clichés et accouchant de personnages stéréotypés – le jeune bad boy issu de milieu défavorisé (Jarod Cousyns), le fils-père à problèmes et à l’équilibre mental fragile (Karim Leklou) et le quinquagénaire taiseux qui a coupé tout lien avec sa famille (Issaka Sawadogo), plombe une narration pourtant prometteuse.
Ouvrir les portes du pénitencier
L’autre bonne idée du film, toujours sur le papier, réside dans la volonté de filmer le dehors de la prison, d’en ouvrir les portes. En jouissant d’un weekend de permission, Bonnard (Karim Leklou, Coup de chaud, Le monde est à toi, Goutte d’Or), Hamousin (Issaka Sawadogo, Guyane, Samba, Twist à Bamako) et Colin (Jarod Cousyns) tentent de s’affranchir de cette étiquette qu’ils portent comme un fardeau : celle de prisonniers. Marginalisés et incompris de leurs familles, nos trois protagonistes ne parviennent pas à profiter pleinement de leur temps libre. De cette liberté, ils n’en auront qu’un bref aperçu.
Là encore, les clichés reviennent au galop : Bonnard, dont les problèmes d’alcool sont fréquents, même en prison, gâche les quelques heures hors de sa cellule à siffler bière sur bière, loin de sa famille qui pourtant attendait son retour. Jarod, quant à lui, déçu par sa mère qui la fuit, contacte ses prétendus amis avec qui il s’était associé pour de grosses coupures et passe une nuit en club qui vire au cauchemar. Seule éclaircie dans ce temps morne, le personnage sans doute le plus intéressant, celui d’Hamousin. Mutique, profond et seul, il est des trois celui qui purge la peine la plus longue. Alors que sa remise en liberté approche, il consacre ces 48 heures à sa réinsertion. Et à son histoire, on y croit.
Une idée originale gâchée par un scénario et une direction d’acteurs très déséquilibrés, voilà ce qu’on retiendra du premier long métrage de fiction d’Ève Duchemin. Au final sans réel message à livrer, si ce n’est celui de l’incapacité du système pénitentiaire à réinsérer correctement des femmes et des hommes enfermé.es, Temps mort marquera vraisemblablement moins le monde du cinéma que l’album de Booba celui du rap français…