Suite à son éviscération de chez Marvel, James Gunn rebondit avec panache en reprenant les commandes de son rival historique, DC. Avec Superman, il pose la première pierre de sa future cathédrale.
Fermez les yeux et pensez à un film de super-héros. Facile, un paquet surgit à l’esprit. Maintenant, demandez-vous : quand est-ce que l’un d’entre eux vous a vraiment émerveillé ? Comme quand vous étiez gamin. Pas diverti, pas impressionné — émerveillé. Vous hésitez ? Normal. Depuis plus de 8 ans, même s’ils sont sur tous les fronts et toutes les lèvres, les films de métahumains tournent à vide, coincés entre cynisme et saturation. Mais voilà qu’il revient. Superman. Comme un symbole qu’on croyait broyé, éteint. Comme une promesse de renouveau. Et, fidèle à lui-même, il nous redonne un peu d’espoir.
« Superman doit trouver l’équilibre entre ses racines kryptoniennes et son identité humaine, sous les traits de Clark Kent, originaire de Smallville, dans le Kansas. Il est l’incarnation de la vérité, de la justice et des valeurs américaines et il est animé par une véritable bienveillance dans un monde qui considère cette qualité comme obsolète. »

Il était une cape en Amérique
Née en 1938 dans les pages du premier numéro d’Action Comics, Superman s’impose rapidement comme la figure phare de DC Comics pendant plusieurs décennies. Apparue après la première grande crise américaine et à la veille de la Seconde Guerre mondiale, sa silhouette aux couleurs vives incarne, pour beaucoup, un idéal : celui d’un monde meilleur porté par la volonté, la justice et l’espoir. Doté d’une persévérance inébranlable et d’une volonté indomptable, Superman symbolise alors l’apogée de l’héroïsme, un exemple à suivre, un miroir de ce que l’humanité peut avoir de meilleur.
Mais les temps changent, et avec eux, les récits. Les idéaux lumineux de l’âge d’or (1938-1954) et de l’âge d’argent (1956-1970) laissent place à des questionnements plus sombres, plus ambigus. C’est ce que l’âge de bronze (1970-1985) des comics nous apprend : les moralités claires et absolues sont désormais dépassées. Et c’est dans ce glissement culturel et narratif qu’explosera plus tard sur grand écran la trilogie Batman (post 11 septembre) de Christopher Nolan. Une œuvre marquée par la volonté de complexifier les héros – mais qui associe complexité à gravité, profondeur à noirceur. L’héroïsme devient sérieux, pesant, presque désespéré. Un sillon que Zack Snyder creusera avec ferveur et un sérieux outrancier au fil de sa filmographie. Constat : les super-héros ne font plus rêver…
Heureusement, les cartes sont en train d’être rebattues. Et à la tête de ce nouveau jeu : James Gunn, fraîchement nommé capitaine du navire DC. Vous le connaissez déjà, il a offert à Marvel sa saga la plus humaine sous couvert de SF loufoque, Les Gardiens de la Galaxie. L’un des rares à avoir su insuffler du cœur, de l’humour et une vraie tendresse à ses héros de papier. Débarrassé de ses polémiques liées à des blagues de mauvais goût, il signe aujourd’hui son grand retour.
Metropolis Now
Nouveau réalisateur, nouveau Superman. On efface tout et on recommence. Pas d’origin story cette fois – comme pour les futurs 4 Fantastiques. Le mythe est connu, suranné, inutile d’y revenir (à moins que…). Le terrain a déjà été largement balisé, peut-être même un peu trop. Alors James Gunn choisit le contrepied. Dès l’ouverture, l’homme d’acier échoue. Il est au tapis, en sang. Une entrée en matière audacieuse qui révèle un Superman moins expérimenté, plus vulnérable, loin de la figure « christique » d’Henry Cavill. Ici, il est n’est pas un dieu au-dessus des hommes, mais l’un des leurs. Un héros accessible, presque modeste.
Et naturellement, l’empathie opère. Ce n’est plus une montagne de muscles, mais une colline de compassion. La bonne bouille de David Corenswet et son jeu en parfait accord avec le ton du film n’y est pas pour rien. Il incarne parfaitement un Superman au plus proche de son idée originelle : un justicier du peuple, avec le peuple. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le film n’est pas une avalanche mollassonne de bons sentiments ou un simple hommage nostalgique.
Si Gunn revendique l’influence du Superman (1978) de Donner, il ne renie rien de son passé de salle gosse chez Marvel. Et il le prouve en injectant un vrai sens du spectacle, entre respect du mythe et énergie punk. Car ici, la question de la puissance et de son rendu à l’écran reste un enjeu central. Mais pas d’inquiétude, le cinéaste s’en sort avec les honneurs en déployant tout son arsenal. Scènes de vol ultradynamiques, coups de poing destructeurs, rayon laser et envolées iconiques, on assiste les yeux hébétés à une montée en puissance digne d’un roller coaster. Mention spéciale au power move de Mister Terrific badass au possible et qui transpire la fulgurance pop.

Ciné-Clark
Bien sûr, le film n’est pas exempt de défauts. Si on met de côté notre euphorie, on pourrait lui reprocher un manque d’aération, un rythme parfois trop soutenu, ou encore l’absence de Clark Kent, et une Lois un tantinet reléguée en seconde partie. Des réserves qui, à bien y regarder, ne pèsent pas bien lourd face à ce que le film parvient à éveiller en nous – à l’image de sa photographie chatoyante (enfin des couleurs vives !) et sa partition électrisante (partagée entre John Murphy et David Fleming). Mais voilà, personne n’est parfait. Pas même Superman.
Et c’est justement ce que tente, tant bien que mal, de démontrer ce nouveau Lex Luthor dans sa croisade contre le kryptonien. James Gunn, tout comme l’incarnation magnétique de Nicolas Hoult, a parfaitement saisi l’ampleur envieuse et rageuse du personnage : un surdoué mégalo qui ne supporte pas que les projecteurs ne soient plus braqués sur lui ; incapable de comprendre que Superman est tout aussi humain que lui, si ce n’est plus.
Voilà ce qui fait sa véritable puissance. Ce Superman n’est plus un héros solitaire. Là où ses prédécesseurs portaient seuls le poids du monde, celui-ci peut s’appuyer sur des alliés, des amis, une famille. Parce qu’à l’instar de sa cousine Supergirl (dont le teasing sera éparpillé tout au long du film avec la figure touchante et drôle de Krypto), la véritable force de Superman ne vient pas uniquement de son invincibilité, mais de l’amour qu’il inspire autour de lui. Il n’est plus un marginal mais un véritable héros qui suscite la compassion et l’entraide.
« S » comme Espoir
« Qu’est-ce qui nous pousse à nous asseoir dans un cinéma pour aller voir un film de super-héros ? » La question peut sembler anodine, et pourtant elle est essentielle. Elle conditionnera, en grande partie, la manière dont chacun recevra ce nouveau Superman. Pour certains, c’est la promesse du grand spectacle. Pour d’autres, celle de la nostalgie, du vertige que suscite le genre en nous rappelant à l’enfance. Et pour quelques-uns, l’envie de plonger dans une mythologie moderne, peuplée de symboles, d’icônes et de récits bigger than life. Dans les trois cas, Gunn fait brelan et rafle la mise.
En réinventant le mythe à sa façon, le nouveau chef artistique de DC se permet une légère perturbation dans la matrice : et si les parents de Kal-El ne l’avaient pas envoyé sur Terre pour le sauver… mais pour la conquérir ? Une relecture qui fait vaciller les fondations morales de Clark et l’oblige à interroger ce qui fonde réellement son héroïsme et humanité.
Heureusement, comme Peter Parker a son oncle Ben, Clark Kent peut compter sur Jonathan Kent, son père adoptif (bien vivant dans cette version), véritable boussole morale et refuge affectif. Ce ne sont ainsi plus la perte ou la culpabilité qui façonnent Superman, mais bien l’amour reçu et les valeurs transmises de son vivant. Ce Superman n’est pas né d’un traumatisme, mais d’un foyer. Et ça, ça change tout.