Après La voix humaine, court-métrage de confinement, Almodóvar s’échappe vers les grands espaces du western avec Strange Way of Life, s’accompagnant de tout l’imaginaire que déploie ce genre.
Strange Way of Life est le premier film américain du réalisateur. Il vient alors se confronter à un genre qu’il n’avait jusqu’ici qu’effleuré, le western. Condensé de ses obsessions l’espace d’une demi-heure, l’efficacité voulue du film a, bien souvent, des allures de précipitation.
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La vie en rouge
Le rouge est la couleur matricielle du cinéma d’Almodóvar. Plus qu’un choix esthétique, cette couleur est l’incarnation même de son œuvre. Elle représente le sang – si souvent versée dans ses films – pour ainsi dire la vie. Mais le rouge attrait également à la passion. Alors apparaît l’érotisme de son cinéma, son dionysisme, son aspect bigger than life. Strange Way of Life ne déroge pas à la règle. Le rouge est ici le même qu’il s’agisse de vin ou de sang. Les deux liquides seront par ailleurs déclenchés par la même action, un coup de pistolet. Il faut alors y voir une volonté du réalisateur d’exacerber le réel. Almodóvar place sur un même niveau la jouissance et la mort, le désir et l’aversion, délaissant tout autre sentiment.
Son cinéma est donc celui de l’intensité, émotionnelle avant tout, mais matérielle également. En cela, Strange Way of Life se rapproche davantage d’un Duel au soleil (déjà présent dans Matador) que d’un western d’Anthony Mann. Le film ne dure qu’une demi-heure et l’on sent la volonté du réalisateur d’aller vers une efficacité scénaristique et formelle, pour que chaque scène contienne tout. L’intrigue du film se déploie en l’espace de quelques minutes seulement. Alors aurait pu se déployer un film d’autant plus subtil. Cependant, l’intensité qui imprègne chaque plan n’en appelle qu’à une théâtralité mal exécutée, et à un aboutissement presque risible tant il semble hors temps.
Vers sa destinée
Dans Strange Way of Life, la vie a un sens, aussi étrange soit-il, que les personnages sont contraints de suivre. Le scénariste a alors la tâche de les guider. Le poids du destin n’est pas ici celui d’un déterminisme social, mais davantage celui d’une approche mystique de la vie. Almodóvar a abordé la religion à de nombreuses reprises dans ses films. Il y entretient une haine profonde pour les institutions (église, prêtre, éducation, …), mais une part de lui semble toujours tournée vers le spirituel. Ou du moins, vers une part d’inexplicable dans le destin de ses personnages.
Pulsion passionnelle ou divine, les cow-boys de Strange Way of Life luttent contre un destin dont ils ne peuvent s’échapper. Sorte de redite de Pat Garret & Billy the Kid où l’amitié serait remplacée par l’amour, Almodóvar s’inscrit alors dans la lignée de ses prédécesseurs, peut-être trop…
Classicisme académique
Almodóvar est un très bon élève. Assidu, il a toujours cité ouvertement ou implicitement ses maîtres. Douglas Sirk, George Cukor, John Waters, Duel au soleil ou même Johnny Guitare. Autant d’œuvres qui n’ont pas été uniquement utilisé comme hommage, mais comme objet de récit. Avec Strange Way of Life, il y a quelque chose d’excitant en tant que spectateur que de voir ce cinéaste cinéphile se plonger finalement dans un genre qu’il ne fit que citer jusque-là. Il en reprend les principaux thèmes : justice, destinée, propriété, amitié, amour, … Tout en insérant ses propres obsessions, principalement tournées vers les sentiments et le charnel. Mais Almodóvar ne parvient pas à s’affirmer ici comme l’auteur qu’il fut par le passé.
Cela est probablement dû à un montage à l’académisme morne, loin du dynamisme de certaines de ses œuvres espagnoles. Et, si l’idée d’expliciter les sentiments amoureux de ses personnages masculins par les mots peut être vue comme un geste esthétique fort dans ce genre, les dialogues deviennent finalement beaucoup trop expressifs, et ne servent qu’à exposer des situations dans la précipitation. En somme, le film ne décolle jamais réellement, comme s’il était bloqué sur la ligne de départ. La faute au format probablement. Trente minutes peuvent servir un chef d’œuvre, comme être l’amorce d’un film qui n’éclot jamais.
Première production d’Yves Saint Laurent, Strange Way of Life a parfois davantage des airs de vitrine que de film. Les obsessions du réalisateur, tant esthétiques que narratives, s’y retrouvent, mais semblent cloisonnées dans un genre qu’il ne parvient pas à s’approprier, dans une limite de temps qui lui paraît imposée. Quelques scènes nous resterons en mémoire – un flash-back, un très beau générique final – mais dans son ensemble, Strange Way of Life relève davantage d’un exercice de style académique que d’une œuvre marquante dans la filmographie d’Almodóvar. À l’ouest, rien de nouveau.