Inspiré par les œuvres d’Abdellatif Kechiche, Emma Benestan et Nuri Bilge Ceylan, Sous les figues est une nouvelle preuve de la vitalité retrouvée du cinéma tunisien, notamment après la réussite qu’a été Harka de Lotfy Nathan. Le film, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et représentant de la Tunisie aux Oscars, est le premier long-métrage d’Erige Sehiri.
Sous les figues, dans la campagne profonde de la Tunisie, de jeunes femmes participent à la récolte estivale. Les journées de travail sont pour elles l’occasion de se retrouver, d’évoluer sous le regard des hommes et de rêver à une vie meilleure, moins corsetée et conservatrice.
Des inspirations évidentes qui n’entravent pas une certaine originalité
Dans la campagne tunisienne en été, le soleil brille, les corps transpirent et les langues se délient. C’est cette ambiance si particulière qu’Erige Sehiri a cherché à capter, dans la lignée d’œuvres qui pourraient presque constituer un genre à part entière ces dernières années. La réussite de Sous les figues est ainsi celles de l’ambiance. Pendant 1h30, le film évolue dans un quasi huis-clos. Sous les ombres du verger, le soleil transperce les feuillages et illumine visages et regards, qui sont le principal objet d’étude de Sehiri.
Avec ces idées, le film cherche à installer une sorte d’atmosphère planante, suspendue. Les travailleurs et travailleuses évoluent en vase clos, et seules comptent leurs conversations, parfois frivoles, d’autre fois profondes. Le spectateur est ainsi invité, dans une expérience aussi visuelle que sensorielle, à retenir son souffle et se laisser prendre par ces images ensoleillées et fruitées. Ces dernières ne sont pas sans rappeler des films tels que Les climats de Nuri Bilge Ceylan, Mektoub my love de Kechiche ou Fragile d’Emma Benestan, qui eux aussi font passer les émotions autrement que par le scénario : ici, il est question de soleil et de chaleur, et de la manière dont l’ambiance estivale amène les gens à se rapprocher.
Une histoire de regards
Ainsi, il est presque aussi important dans Sous les figues de chercher les regards, échangés ou fuyants, que les paroles.
Car tout, dans cet ensemble de conversations aussi banales que déterminantes, est question de regard, celui des hommes sur les femmes, des femmes sur les hommes, des gens sur la société. Dans ce qui ressemble presque à une pièce de théâtre, la caméra vole de discussion en discussion, faisant petit à petit émerger le sujet principal de Sehiri : la condition des femmes tunisiennes. Qu’elles soient jeunes, vieilles, pleines d’espoir ou désabusées, les femmes de Sous les figues confessent leur désillusion quant à leur condition, tout en cherchant à la fois à plaire et à échapper au regard des hommes.
Les défauts et qualités d’un premier film
Si Sehiri s’inspire clairement de grands réalisateurs avant elle, en particulier Ceylan et Kechiche, elle n’en atteint pas moins pas la même qualité. Sous les figues a ainsi les défauts et les avantages d’un premier film. La réalisatrice ne cherche pas à trop en dire d’un coup et réussit de manière admirable à donner un film épuré et dépouillé, sa mise en scène reste trop plate pour emporter le tout.
Sous les figues se résume ainsi la plupart du temps à un échange de champs et de contre-champs classiques et presque sans vie.
Un manque de panache ?
Cette mise en scène amoindrit la qualité d’ensemble, et fait de ce premier film d’Erige Sehiri un essai à moitié transformé. C’est un paradoxe intéressant qu’offre donc Sous les figues, où l’on est emporté par l’ambiance tout en sentant le temps à cause de la platitude de la mise en scène.
Du reste, le scénario aussi manque de panache. Loin des envolées lyriques et de la réussite d’Harka de Lotfy Nathan, autre film tunisien de 2022 qui dit tout avec peu de paroles, l’oeuvre de Sehiri souffre de trop de banalités. Les confessions du gang de filles tombent le plus souvent à plat, même si l’idée générale, qui est celle de montrer la condition des femmes en vase clos, est plutôt réussie et sauve l’ensemble.
Représentant de la Tunisie aux Oscars 2023, Sous les figues aura fort à faire pour réussir à figurer dans la sélection finale. Mais au-delà de ses défauts, nous préférons retenir ses réussites, principalement en terme d’ambiance et d’atmosphère, qui font d’Erige Sehiri une réalisatrice à suivre. De même que nous suivrons la carrière des actrices et acteurs principaux du film qui, par leur jeu à la fois simple et plein de maîtrise, donnent à la fin de Sous les figues un goût agréable.