C’est une petite bouchée de tendresse qui inondera nos salles le 10 janvier. Scrapper, réalisé par Charlotte Regan, recolore le blason du cinéma britannique, terni des clichés que lui collent le public.
Peut-être déjà aidés en début d’année avec le très apprécié Aftersun, nos amis d’outre-manche semblent décidés à se délester du cliché d’une Grande-Bretagne austère et ennuyeuse. Scrapper (que nous avions déjà évoqué pour le Festival du film Britannique de Dinard) y expose certes des accointances avec le film de Charlotte Wells, mais en y ajoutant une dimension sociale bienvenue.
« Banlieue de Londres. Georgie (Lola Campbell), 12 ans, vit seule depuis la mort de sa mère (Olivia Brady). Elle se débrouille au quotidien pour éloigner les travailleurs sociaux, raconte qu’elle vit avec un oncle, gagne de l’argent en faisant un trafic de vélo avec son ami Ali (Alin Uzun). Cet équilibre fonctionne jusqu’à l’arrivée de Jason (Harris Dickinson), un jeune homme qu’elle ne connait pas et se présente comme étant son père…«
Bah mon vélo !
Le synopsis pourrait nous faire croire à un mélodrame misérabiliste, et l’affiche à une énième comédie sociale hautaine. Mais la force de Scrapper réside dans ses personnages qui font résonner l’un et l’autre.
L’amitié entre Georgie et Ali permet au film d’adopter un rythme ne laissant pas de place au ventre mou. Tout comme les relations à cet âge-là sont compliquées et volages, la pulsion de leur camaraderie nous tient en émoi et en haleine.
Et quand bien-même certaines séquences délaissent Ali au profit de Jason, ce spectre émotionnel nous reste en tête. En effet, dans le refus de la parentalité de Georgie, qui dit elle-même qu’elle peut s' »élever toute seule », apparaît aussi la question du rôle de parent.
Comment construire cette relation fantôme, qui plus est sur le souvenir encore vif de feu Vicky, sa mère ? On peut même se demander si une supervision parentale est obligatoire, plus qu’un regard « adulte » et honnête sur la situation de Georgie.
Ici, peut-être le parent est confondu avec l’ami. La construction de la protagoniste ne passe plus tant par la transmission que par un apprentissage bien accompagné. Jason, conscient d’avoir manqué à son premier rôle, décide de s’en remettre complètement au second.
Londres de choc
En cela le film se rapproche d’Aftersun, et les fans de ce dernier s’y retrouveront sûrement sur bien des aspects.
Mais Scrapper joue moins sur une mélancolie nostalgique que sur un état franc des laissés-pour-compte. Ce contexte social nous ramène tout de suite à une réalité plus concrète que des vacances sous le soleil turc. La potentielle froideur de ce point de départ est alors contrebalancée par la puissance évocatrice de l’imagination.
Georgie est obligée de s’élever. Non seulement par manque de parentalité mais également car elle affronte seule son long deuil. Choisissant de s’endurcir plutôt que de crouler sous le chagrin, elle fait figure d’autorité, modelant son monde au gré de ses besoins. En cela, elle est elle-même la figure de la réalisatrice, et ce monde n’hésitant pas à être frontal nous le rappelle également.
Cette frontalité partielle nous est presque jetée au visage par des plans de certains acteurs face caméra. Ou, comme sur la photo-ci-dessous, par des plans audacieux et presque comiques dans leur morosité plastique. Au milieu d’une réalisation malheureusement un peu tenue en laisse, ces quelques interventions infusent le film d’un charme bienvenu.
Car, oui, même si Scrapper est visuellement agréable, la mise en scène de Charlotte Regan ne décolle pas autant que le superbe jeu de ces deux personnages principaux. Humble timidité ou restrictions de la production ? Nous ne le saurons pas, mais les quelques plans cités auparavant nous laisse entrevoir de belles perspectives visuelles pour l’avenir de la réalisatrice.
En bref, Scrapper ne remportera sûrement pas l’unanimité d’Aftersun. Mais il réussit à nous émouvoir et nous faire rire, sans pour cela tomber dans le mélodrame misérabiliste ou la comédie condescendante, deux tentations facilement rassurantes pour une jeune cinéaste. Une belle nouveauté dans le paysage du cinéma britannique et une invitation à la rêverie complexe mais accessible.