Rumours, nuit blanche au sommet : Ce vieux rêve qui bouge pas

Rumours nuit blanche au sommet

Si la politique vous ennuie et que les drogues hallucinogènes sont votre seul espoir, alors Rumours, nuit blanche au sommet est peut-être fait pour vous.

Ce n’est pas sans un certain mystère que Rumours, nuit blanche au sommet s’affiche au fronton de nos cinémas français. En gros caractères, son casting luxueux (Cate Blanchett, Alexia Vikander, Denis Menochet, Charles Dance…) promet une fantaisie chorale destinée au plus grand nombre. Derrière la caméra, son trio canadien arty (Le performer Guy Maddin et les frères Evan & Galen Johnson), quasi inconnu du grand public, intrigue. L’attelage intello-mainstream se met au service du difficile exercice de la satire, brocardant ni plus ni moins que les 7 hommes et femmes les plus puissants de la planète.

Si le film a su convaincre les jurés du récent Festival de Gérardmer 2025 (prix du jury, rien de moins), il n’est assurément pas pour tout le monde.

« Réunis dans un château en Allemagne pour leur sommet annuel, les dirigeants des pays du G7 s’installent en bordure d’une forêt pour préparer leur déclaration. A la nuit tombée, le groupe constate que le personnel qui les entourait a disparu. En voulant tenter de les retrouver, les sept politiciens s’enfoncent plus avant dans une forêt qui s’avère pleine de périls et de mystères »

(c) Potemkine

Par où t’es rentré on t’a pas vu sortir

A la lecture du synopsis, vous constatez ô combien le sujet est prestigieux. Pensez donc : le G7, de beaux discours sur l’avenir de la planète, des décisions géopolitiques stratégiques, les sourires confiants de nos bien-aimés dirigeants pour la photo-souvenir. Rassurez-vous : la production l’a bien compris, et le film déploie son luxe avec l’ostentation tapageuse d’une réception présidentielle à l’Élysée. Des comédiens prestigieux donc, le plus grand château de Hongrie comme lieu de tournage, une délicate bande-son orchestrale, une photographie joliment onirique, et même Ari Aster à la production. Nos yeux en ont pour leur argent et on ne regrette pas de payer ses impôts.

Le carton d’introduction annonce la couleur : « Les producteurs remercient les leaders politiques du G7 pour leur soutien et leur conseil ». Rassurons les internautes les plus crédules : aucun ancien président n’irait conseiller cette clownerie, pas même François Hollande. Mais c’est drôle, ou en tout cas, ça en fait rire certains (le jury de Gerardmer et l’auteur de ces lignes, soit quand même 8 personnes).

Écrasons les évidences : oui le film est ultra-référencé, et oui, les-dites références ne sont pas de la première fraîcheur. La satire, genre comico-sarcastique en vogue dans les années 70, a connu un immense trou d’air dans les décennies suivantes. Si l’exercice a pu retrouver un peu de reconnaissance contemporaine avec Ruben Ostlund (The Square, Sans filtre…), ce n’est pas demain qu’il reviendra en prime time sur TF1. Le fantôme de Luis Bunuel flotte sur Rumours, et en particulier son Ange Exterminateur, chef d’œuvre de l’absurde, où des notables réunis dans la salle à manger d’une maison cossue, ne réussissent jamais à en sortir malgré leurs efforts. C’est le même genre de huis-clos (un peu poussiéreux) auquel nous assistons ici.

Les 7 nains

Et puisque personne ne peut sortir, enfonçons une porte ouverte en expliquant l’évidente allégorie du film : dans ce monde en miniature, les 7 personnalités politiques les plus puissantes vont avoir toutes les peines du monde pour sauver leur peau. A l’image de leur incapacité à sauver leurs propres pays ? Le spectacle de leur incompétence de survie la plus basique permet de passer du comique de situation loufoque (Denis Menochet, président français ivre mort dans sa brouette et porté littéralement par son voisin canadien : on pouffe) à la comédie de dialogue (Charles Dance en Joe Biden gâteux mélangeant ses phrases, plus vrai que nature).

Cette créativité rivalisant avec le non-sens, évoque forcément un enchaînement plus ou moins décousu de sketchs des Monty Python – autre référence tutélaire de bon goût, mais toujours aussi peu contemporaine. Cela dit, on se surprend à rire régulièrement. Oh, moins dans un franc éclat de rire populaire qu’avec un petit ricanement intellectuel et petit-bourgeois, mais le minimum syndical d’une « comédie » est atteint.

rumours nult blanche au sommet
(c) Potemkine

Satire à balles réelles ?

Depuis plus de 30 ans, le trio canadien de Winnipeg, Maddin, Johnson & Johnson collabore ensemble entre courts et longs métrages à faibles budgets. Leurs films, à mi-chemin entre le cinéma, l’art et… le grand n’importe quoi, font preuve d’un goût consommé du bizarre nourri d’un bel éclectisme, entre influences expressionnistes (Murnau, Lang..) surréalistes (Lynch), ou encore dystopiques (Carpenter). Il y aurait même du Max Pécas, selon les médisants.

On retrouve ce goût pour la zèderie et l’artisanat kitsch dans les péripéties de Rumours, nuit blanche au sommet. Comme quand des momies énervées de l’Âge du fer viennent demander des comptes aux président.e.s  – qui, évidemment, sauront les rouler dans la farine avec leurs promesses politiciennes. Ou comme quand un gros cerveau (toujours pas François Hollande) devient un lieu de recueillement édénique pour nos (anti)-héros. Saluons au passage la superbe photographie de Stefan Ciupek, vaporeuse et nimbée de fantasy, assurément la plus grande réussite technique du film.

La (non) politique des auteurs

Entre comédie noire et gros gore qui tâche, Rumours n’est pas toujours passionnant, mais a le mérite d’être à chaque fois surprenant. C’est d’ailleurs ce qui finit par lasser. La réalisation n’a pas de colonne vertébrale formelle, et multiplie les changements de genres sans jamais exceller dans aucun. « Nous voulions avant tout que le film ressemble à un rêve et qu’il se déroule comme un rêve. » annonçait Madden. Un rêve aux allures de cauchemar grotesque en réalité, comme si Quentin Dupieux avait remaké Cannibal Holocaust. 

Où les réalisateurs voulaient-ils aller ? Le message du film est aussi limpide qu’une loi de finance sur la politique énergétique européenne, et voilà ce qui l’empêchera sans doute de dépasser le stade de la gentille farce aux yeux de la postérité.  Rumours, écrit à la suite d’un « ras le bol de la politique » serait un rêve devenu satire par inadvertance, par accident, entre cadavre exquis et sérendipité provoquée par le travail à six mains du trio. Pourtant, alors que la critique cinématographique se limite parfois à analyser les films par le seul prisme du discours politique (« Tout cinéma est politique », entend-on abusivement) Rumours, nuit blanche au sommet renverse ce paradigme avec un geste aussi esthétique que nihiliste : Toute politique est cinéma.

Satire des Puissants au croisement des Monty Python et de la série Z, Rumours, nuit blanche au sommet ne cesse de surprendre par son esthétique onirique et son nihilisme de cauchemar. Une farce unique, qui, si elle ne dit pas grand chose sur la politique, témoigne finalement de l’état de notre monde.

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