Adaptation animée de l’album Rock Bottom signé Robert Wyatt, la ballade musicale de María Trénor se fait l’euphémisme d’une relation violente et autodestructrice.
C’est l’histoire d’un homme torturé par son propre génie ; l’histoire d’un artiste au talent vénéneux ; l’histoire d’une contagion, celle d’une compagne embarquée malgré elle dans les déboires du grandiose. Une relation passionnelle, on vous dira. Mais si vous tendez l’oreille, entendrez-vous peut-être les percussions des violences psychologiques. Chères lectrices, si votre partenaire vous propose de l’héroïne pour libérer vos shakras et votre potentiel créatif : fuyez.
« A partir de l’album mythique de Robert Wyatt, Rock Bottom nous plonge dans l’histoire d’amour vertigineuse de Bob et Alif, deux jeunes artistes de la culture hippie du début des années 70. »

La mélodie du malheur
Un peu de tempo, quelques notes et pas de danse, et nous voilà lancés dans un incipit La-La-Landesque, brusquement écourté. La couleur est annoncée : Rock Bottom ne se réclame pas de ces comédies musicales idéalistes. En 1973, Robert Wyatt chute de quatre étages et perd l’usage de ses deux jambes. Le rocher du fond, est-ce le cruel bitume new-yorkais ? Ou bien les coraux des lagunes espagnoles effleurés par Bob et sa compagne Alif, un an avant la tragédie ?
L’album éponyme, chef-d’oeuvre du rock progressif, fredonne un récit de guérison, physique et psychologique. Car avant New-York et ses gratte-ciels, il y a une autre dégringolade, il y a Majorque, il y a Alif. Le film compose une double temporalité tout le long de sa partition. Avec la chute de Bob Wyatt rime alors le souvenir de la débâcle de sa relation avec Alfreda Benge.
Les aspirations de Rock Bottom dépassent celles du récit autobiographique ou de l’adaptation. Plongée psychédélique dans un monde saturé de couleurs et de musicalités enivrantes, le film chavire entre le rêve et le cauchemar, le spectacle et l’abstraction. Cette ambivalence abreuve le portrait même du couple formé par Bob et Alif. Co-dépendance et violence partagée y jouent en diapason.
Toujours, jamais
Dans Rock Bottom, toutes les bonnes notes sont ainsi réunies pour le concerto résolument moderne et féministe que María Trénor aurait voulu gratter. À contrecourant des poncifs sur la période hippie, elle évoque la stase de la condition féminine des années 70, toujours ankylosée de lourdes attentes sociales.
Pourtant, le film sonne faux. Au lendemain du procès Depp-Heard piaillent encore les stéréotypes sur l’abus mutuel, en plein dans l’élaboration d’une mythologie masculiniste. Bob pousse Alif dans le gouffre de la toxicomanie ; l’y abandonne, une nuit entière, pour se consacrer à son propre génie créatif (et autres drogues récréatives). Alif pousse Bob à son tour, physiquement, cette fois.
Rock Bottom dresse le tableau d’une relation abusive dont la réciprocité ne sert qu’à justifier le récit de l’album original : la convalescence, du corps, du coeur, de Bob, seulement. Alif se contente de réapparaître à son chevet, inchangée, disponible. Privée de guérison tout en assumant à part égale la responsabilité de la violence. Difficile de parler d’une juste répartition de la charge mentale.
Involontairement sans doute, María Trénor sert alors un narratif profitant aux récentes affabulations en vogue dans la communauté incel : celles d’un homme jamais vraiment coupable, toujours en partie victime. Lui fait face une femme jamais vraiment victime, toujours en partie coupable, qu’on finit par retrouver découpée en morceaux, Rue de la Bienséance, à deux pas du château.