Parthenope de Paolo Sorrentino : Naples, mon Amour

Parthenope Sorrentino A24

Après La Main de Dieu (2021), Paolo Sorrentino est de retour avec son dixième long métrage Parthenope, dont le récit s’ancre à nouveau dans sa ville de naissance.

Après une diffusion exclusive de La Main de Dieu sur Netflix, film le plus personnel de Paolo Sorrentino à ce jour, quelle joie que Parthenope se fraye quant à lui un chemin dans les salles obscures hexagonales. Passé par le Festival de Cannes en mai 2024, le nouvel opus du cinéaste italien a largement divisé lors de sa projection sur la Croisette. Et il faut bien l’admettre, Parthenope ne laisse effectivement pas de marbre, à l’image de son héroïne principale aux allures de déesse.

« La vie, tel un long voyage, de Parthenope (Celeste Dalla Porta), de sa naissance dans les années 1950 à nos jours. Une épopée féminine sans héroïsme, débordante d’une inexorable passion pour la liberté, pour Naples et les visages de l’amour. Les amours vraies, inutiles et celles indicibles. Le parfait été à Capri d’une jeunesse baignée d’insouciance, et qui se termine en embuscade. Et puis tous les autres, les Napolitains, hommes et femmes, fréquentés, observés et aimés, désabusés et vitaux, leurs dérives mélancoliques, leurs ironies tragiques et leurs yeux un peu abattus. La vie, mémorable ou ordinaire, sait être très longue. Le cours du temps offre un vaste répertoire de sentiments. Et là, au fond, proche et lointaine, cette ville indéfinissable, Naples, qui ensorcèle, enchante, hurle, rit et sait nous faire mal. »

© Gianni Fiorito

Clivant un jour, clivant toujours

Depuis Les Conséquences de l’Amour en 2004, presque tous les films du cinéaste italien sont passés par le Festival de Cannes. Paolo Sorrentino n’a ceci dit pas encore raflé la précieuse Palme d’Or pour un de ses projets, mais n’a par contre jamais cessé de diviser. Ses « tares » cinématographiques sont connues depuis belle lurette, et offrent différents degrés d’agacement au fil de ses films. Parthenope ne fait pas exception à la règle. On y retrouve les marques de fabrique clivantes de Sorrentino, notamment sa tendance à filmer de façon sexualisée les femmes, mais également son penchant certain pour les plans tape-à-l’œil, grandiloquents et baroques qui nous subjuguent autant qu’ils peuvent fatiguer sur la durée.

Pourtant, à l’image de La Main de Dieu, les « tics » de Paolo Sorrentino passent à nouveau plutôt bien ici. Les premières séquences nous plongent directement dans l’univers coloré et ultra léché si reconnaissable du réalisateur, toujours autant imprégné du travail de Fellini. D’un plan fixe sur un carrosse versaillais voguant vers la baie de Naples, au plan d’introduction du personnage de Parthenope (Celeste Dalla Porta), alors âgée de 18 ans, sortant de l’eau cristalline en slow motion, Sorrentino catapulte directement son héroïne au rang de divinité, et promet dès le début du film des images qui fleurent bon l’Italie empreintes de chaleur, de sensualité et de beauté en veux-tu en voilà. N’en déplaisent à ses détracteurs.

La belle caboche

Fidèle à son prénom, qui est à l’origine celui d’une sirène dans la mythologie grecque et l’éponyme antique de la ville de Naples, Parthenope naît dans les eaux turquoises qui bordent la belle demeure parentale et dort dans son carrosse le soir venu. Elle fait chavirer tous les cœurs sur son passage. Même son frère aîné Raimondo (Daniele Rienzo), avec lequel elle entretient une relation tendancieusement incestueuse, ne résiste pas à son charme. Personnification de la ville natale du réalisateur, Parthenope est filmée comme une muse, une divinité vivante souvent mutique qui oscille entre langueur et désolation. Pourtant, là où l’héroïne pourrait jouer allègrement de ses atours, elle tâtonne, piétine et cabotine, finalement moins encline au sexe qu’à ses études d’anthropologie. Fellinienne jusqu’au bout des cils, Parthenope pourrait même être le pendant fictif de la filmographie de Sorrentino, d’apparence creuse et outrancière, et pourtant profonde et pleine d’esprit.

Miroir au féminin du romancier cynique et impénitent campé par Toni Servillo dans La Grande Bellezza (2013), Parthenope est intelligente et se jette à âme perdue dans sa thèse d’anthropologie pour tenter d’oublier ses maux. Humainement parlant, elle préfère par ailleurs souvent la compagnie de personnages bancals. Son professeur misanthrope et taciturne d’anthropologie (excellent Sylvio Orlando) ou John Cheever, écrivain alcoolique dépressif campé par Gary Oldman (qui rappelle fortement le dramaturge Tennessee Williams), en tête. Au gré de ses tribulations, la belle croise une flopée de protagonistes qui tente de la détourner, ou non, de la voie qu’elle s’est choisie. Toujours habile dans sa dialectique du sacré et du profane, du beau et du grotesque, Sorrentino offre à sa Parthenope un chemin de croix fellinien à souhait jusqu’à sa séquence finale.

© A24

Ici c’est Napoli

Si certains ont déjà collé les étiquettes de « misogyne » et de « voyeur » au cinéaste, il serait étonnant de les lui accorder dans Parthenope, tant le portrait fascinant qu’il dépeint de son héroïne cryptique suinte la vie, dans ce qu’elle a de plus morne et extraordinaire. Premier personnage féminin central dans un récit de Paolo Sorrentino, Parthenope, allégorie de la ville chérie du réalisateur, cherche un sens à son existence par le biais d’expériences et de rencontres heureuses, ou non. Et si le regard libidineux de Sorrentino surgit parfois sur sa comédienne, le cinéaste explore ceci dit plutôt habilement les dommages collatéraux liés à la beauté quasi surnaturelle, notamment celui de l’isolement.

Tandis que Paolo Sorrentino capture la dérive ponctuée de désenchantement de son personnage principal, il livre en parallèle une véritable lettre d’amour à Naples. Sous forme de conte allégorique, le réalisateur nous plonge dans les limbes de sa ville de naissance, dans ce qu’elle a de plus lumineux et de plus sombre, par le biais de séquences qui, pour certaines, impriment longtemps la rétine et dérangent. Par ailleurs, le surplus de références de Parthenope peut par endroit laisser sur le côté du sentier si l’on n’est pas familier de l’historique de Naples. D’une danse sensuelle à trois aux plus sombres et inconnues coutumes napolitaines, Paolo Sorrentino, un brin désabusé comme à l’accoutumée, désarçonne toujours autant par sa démesure clinquante, et ajoute une pierre supplémentaire captivante à sa panoplie d’histoires de passions désolées.

Moins personnel que La Main de Dieu, Parthenope reste malgré tout un portrait de femme fascinant et un conte allégorique profond sur la ville natale adorée de Paolo Sorrentino.

Laisser un commentaire