Présenté en compétition dans l’édition virtuelle du festival de Gérardmer 2021, Mosquito State est une variation autour du genre du body horror inscrivant l’obsession d’un bourgeois déphasé pour un moustique dans le contexte de la crise économique de 2007. Le film est la transposition plastique d’une des crises majeures de l’histoire contemporaine, et en interroge le traitement par un format moins conventionnel que celui du film politique.
En septembre dernier, le public – alors bien physique – de Venise s’est étonné de l’étrange et inattendu film Mosquito State du réalisateur américano-polonais Filip Jan Rymsza – dont le nom est connu pour sa participation active à l’inhumation d’un film perdu d’Orson Welles, The Other Side of the Wind, et qui avait été lui aussi présenté une première fois à Venise en 2018. Cette passion pour le cinéaste étasunien ne révèle pas tant d’une influence sur les plans esthétiques ou formels, mais peut par contre témoigner de sa position d’observateur en tant que créateur polonais aux États-Unis, et qui a acquis une culture philosophique et économique dans ce même pays – en somme, qui a assimilé une culture américaine en tant qu’elle lui est extérieure.
Une position qu’il partage avec le personnage principal de Mosquito State, un data analyst surdoué (Beau Knapp) qui observe la chute imminente du marché financier qui a marqué l’économie mondiale en 2007, faisant de lui autant un agent actif de cette crise qu’un prophète muet méprisé par sa hiérarchie : l’usage abusif par ses collègues d’un logiciel de son invention est à l’origine des irrégularités qui lança la crise de liquidité.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de la finance
Si une filiation existe entre Rymsza et Welles, elle se situe probablement dans Macbeth, histoire de l’ascension d’un soldat régicide sombrant dans la paranoïa – avec pour différence majeure que la prophétie ne s’oralise pas, elle émerge d’une piqûre de moustique. Une – d’abord anodine – altération qui provoque à ce soldat de la finance des envies de régicide, avec cette nuance que le personnage de Richard Boca ne désire pas accéder au trône, mais seulement limiter la frénésie boursière de sa hiérarchie. De capricieux adultes déphasés dans d’immenses tours transparentes, qui peuvent prédire l’effondrement d’un monde au travers de transparentes fenêtres ou de données sur des tableurs – ce sont les nouveaux rois, contre lesquels Richard tente vainement de s’insurger : la fin est sans surprise, la crise des subprimes est une histoire récente aux séquelles brutales et non résolues.
L’originalité du film de Rymsza n’est pas dans la vulgarisation de l’économie de crise – et encore moins dans sa finesse à noter les ingérences des responsables financiers – mais dans sa capacité à l’intégrer dans un film estampillé body horror, tissant un fil qui relie l’histoire occidentale récente avec l’héritage du cinéma d’exploitation. Sa réussite se situe précisément en ce que le film ne prend pas trop de distance avec le genre, il l’assume et l’exploite, avec ce que ça implique de transformations physiques exubérantes et grossières sur le visage de son protagoniste, par ailleurs à peine visibles pour les autres personnages du film.
A l’origine, par ailleurs, de cette scène complètement hilarante dans laquelle Richard, le visage complètement déformé par des protubérances qui littéralement métamorphosent son visage, est disloqué et complètement boiteux dans son bureau et que sa secrétaire lui demande, timidement, s’il ne devrait peut-être pas consulter un médecin – il me semble, monsieur, que vous êtes un chouïa surmené…
L’ombre de Cronenberg
L’ombre de Cronenberg plane évidemment sur le film, et on peut considérer Mosquito State comme un enfant né de la frustration d’un Cosmopolis perçu seulement comme un récit d’observation : Rymsza réintègre la figure ankylosée et putrescente de La Mouche qui manquait dans le récit de la chute civilisationnelle.
Malheureusement, c’est une écriture très loin d’approcher le génie de Cronenberg, et qui souffre de nombreux éléments dysfonctionnels – notamment, il n’était pas possible de ne pas en parler, dans le traitement réservé à ses personnages féminins (ou secrétaire, ou intérêt amoureux), et ce en dépit de tous les efforts de Charlotte Vega pour faire fonctionner son rôle. (Peut-on arrêter d’écrire des rôles de femmes qui tombent amoureuses de leur harceleur ?)
Une mise en scène défaillante
La mise en scène n’est elle non plus pas à la hauteur, et reflète une tendance d’un certain cinéma d’horreur contemporain qui se repose trop sur la symétrie de ses plans pour éviter l’effort d’une composition intelligente – apprécions, tout de même, que le film prenne réellement son temps, et ne se presse pas, ne multiplie jamais les effets et propose un montage atmosphérique notable.
Le nœud problématique du film est dans la manifestation physique de la crise économique, par l’analogie faite entre les moustiques et les données financières, de ce bourdonnement incessant des fluctuations boursières. Plusieurs éléments fonctionnent encore sous le mode allégorique dans le film, ce qui rend l’ensemble assez pesant et rarement brillant, tant chacun de ces éléments est souligné avec une subtilité pachydermique. Déplorons dans le même temps l’absolue platitude de la direction artistique, qui fait de l’immense appartement de son personnage un énième décor de bourgeois impersonnel, tellement qu’on aime à rappeler le vide de ces gens-là par le vide de leurs habitations – ce qui malheureusement relève bien plus d’une paresse dans l’analyse et d’un manque criant d’originalité que d’une réelle finesse anthropologique.
Ce qui est d’autant plus à déplorer que le film s’accompagne de certaines bonnes idées visuelles dans ses décors – d’un costume de matador dans le salon de Richard qui répond à l’immense fresque d’une corrida dans le bureau de son patron – et d’une absolue réussite d’un point de vue sonore et musicale, mais surtout dans le mixage, qui n’en fait jamais trop mais souligne avec une certaine finesse les différentes phases de cohabitation avec les moustiques. (L’évolution des moustiques est elle-même à l’origine des rares visuels vraiment remarquables du film, qui fonctionne par un chapitrage grotesque mais très plaisant.)