Après Parasite (2019), Bong Joon Ho est enfin de retour dans les salles obscures avec le très attendu Mickey 17.
Six ans après l’immense triomphe de Parasite, qui a raflé, entre autres, la Palme d’Or et quatre Oscars, Bong Joon Ho revient avec Mickey 17, farce politique de science-fiction boostée par Warner Bros. et un budget coquet de 150 millions de dollars. Avec une date de sortie reportée à plusieurs reprises, le premier long métrage du cinéaste sud-coréen tourné au Royaume-Uni s’est fait longuement attendre, non sans une certaine appréhension. Cette co-production XXL entre le gros studio américain et le réalisateur vedette du cinéma coréen n’entache-t-elle pas la patte singulière, et chérie par le plus grand nombre, de Bong Joon Ho ? Verdict ci-dessous.
« Héros malgré lui, Mickey Barnes (Robert Pattinson) se tue à la tâche… littéralement ! Car c’est ce qu’exige de lui son entreprise : mourir régulièrement pour gagner sa vie. »

Le bling-bling malin
Sous ses allures de blockbuster hollywoodien (gros budget, gros studios, gros casting et gros effets spéciaux), Mickey 17 rassure pourtant dès sa séquence d’ouverture, nous plongeant avec entrain dans l’univers si reconnaissable de Bong Joon Ho. A travers une discussion lunaire entre Mickey (Robert Pattinson), mal en point après une chute dans une gorge glacée, et son soi-disant copain Timo (Steven Yeun), fort peu compatissant face à la situation, le réalisateur sud-coréen laisse poindre l’humour grinçant qu’on lui connaît tant. Par la suite, chaque idée mise en place au sein de l’intrigue appuie le discours foncièrement politique de Bong Joon Ho. Ce qui donne naissance à un blockbuster intelligent en plus d’être divertissant, adapté du roman Mickey7 d’Edward Ashton paru en 2022.
Sans se priver, et avec un plaisir contagieux, Bong Joon Ho confère de multiples nuances et lectures à son récit, rendues possibles grâce à la richesse de l’univers dépeint et les pistes réflectives qu’il sous-tend. La satire proposée dans Mickey 17 trouve d’ailleurs un écho tout particulier face à l’incongruité du monde actuel. Monde dans lequel Trump vient d’être fraîchement réélu et où le fascisme monte en flèche. Monde dans lequel les technocrates s’imaginent colons de planètes, pendant que des travailleurs sont sacrifiés au nom du profit, relayés au rang de choses exploitables. De là à dire que le report de sortie du film le rend d’autant plus implacable et cyniquement savoureux, il n’y a qu’un (tout petit) pas.
La mort aux trousses
Dynamitant les codes de la science-fiction et du film à grand spectacle américain, Bong Joon Ho offre une comédie politique glauque, mais pas moins jouissive, qui questionne férocement notre rapport à l’existence et à la mort. En effet, Mickey est un « remplaçable », un éclaireur envoyé en reconnaissance pour contrer tout danger, virus et autres catastrophes qui pourraient mettre en péril la colonisation de la planète de glace Niflheim. Mémoire et corps sauvegardés dans un disque dur en forme de brique, Mickey est sciemment envoyé à la mort, puisqu’il peut être réimprimé à l’infini pour mener à terme sa mission d’humain à sacrifier pour le bien de la communauté.
Robert Pattinson est impressionnant dans les différentes facettes qu’il offre aux multiples versions de Mickey. Oscillant entre le pathétique et le psychopathe, le grotesque et le gentil, le comédien prouve une nouvelle fois que sa palette de jeu n’a pas de limites. Il troque sa moue boudeuse et son charme légendaire contre une gaucherie et un côté crado qui lui vont comme un gant. Le reste des personnages n’est jamais en reste. De sa petite amie Nasha (la révélation Naomi Ackie), à l’imblairable despote raté aux allures trumpistes Kenneth Marshall (incroyable Mark Ruffalo) et sa femme Ylfa, fanatique de sauces campée par la toujours fabuleuse Toni Collette, en passant par les Rampants, bestioles qui pullulent dans les crevasses de Niflheim. Petit bémol ceci dit pour Kai Katz (Anamaria Vartolomei), protagoniste secondaire pourtant intriguant qui se révèle être le moins abouti de la bande.

En terrains connus
Foisonnant dans son écriture et sa mise en scène, Mickey 17 laisse à regret tomber quelques éléments en chemin. Certains personnages donc, mais également des pistes narratives qui méritaient d’être davantage creusées au sein du récit, notamment les personnalités antipodiques de Mickey 17 et Mickey 18 et l’évolution de leur lien, mais aussi ce concept d’humain conçu pour être de la chair recyclée ad vitam æternam. Compliqué pourtant de ne pas adhérer au dernier né de Bong Joon Ho, tant le film balaie ses motifs fétiches et acte peut-être le projet le plus ambitieux du cinéaste jusqu’à présent.
Des inégalités sociales dans Snowpiercer (2013) et Parasite, en passant par l’antispécisme dans Okja (2017) et sa tendresse pour les laissés-pour-compte, Bong Joon Ho reprend ses thèmes phares dans Mickey 17, soudant habillement son approche politique à la maîtrise de son écriture et de sa mise en scène dans un mélange des genres toujours fascinant. Comédie noire, farce politique, blockbuster pop-corn, science-fiction à la sauce thriller, satire futuriste… Mickey 17 coche toutes ces cases et passe de l’un à l’autre avec une fluidité à faire pâlir les studios hollywoodiens. Aussi fun que corrosif, Mickey 17 est probablement la superproduction la plus libre dans ses mouvements que vous verrez avant un bon moment.