6 longues années après le succès de Gone Girl, David Fincher revient à la réalisation d’un long métrage, après une pause en tant que showrunner. Et c’est dans sa nouvelle maison, Netflix, que le réalisateur de Seven réalise le rêve de son défunt père : adapter à l’écran le scénario de Mank.
Mank est l’histoire de la création de l’un des plus grands chefs d’œuvre du cinéma américain, Citizen Kane. Baigné dans un écrin superbe de noir et blanc, David Fincher est parti pour un long discours furieux sur l’histoire oubliée du Hollywood des années 30. Néophytes vous allez souffrir, passionnés de cette époque dorée vous allez vous régaler.
Intérieur jour – bureau de l’auteur – samedi 05 décembre 2020
Un auteur d’articles sur le cinéma cherche l’inspiration au petit jour, avec pour seule lumière celle de son écran d’ordinateur bientôt rejointe par la clarté du matin. Il faut dire qu’il est un peu à cran. S’imaginer écrire sur l’un des réalisateurs américains le plus important de ses trente dernières années – qui plus est sur son dernier long métrage après 6 ans d’absence cinématographique – il y a de quoi avoir la boule au ventre. On se rappelle que David Fincher, puisque c’est celui dont on va longuement parler dans les lignes suivantes, a été un brillant showrunner de l’adaptation américaine de House Of Cards, avant d’émoustiller les possesseurs de Netflix avec deux saisons excellentes de Mindhunter. Mais il en faut plus. Plus de cinéma.
Paradoxe de cette décennie, pour voir le cinéma de David Fincher il faut maintenant brancher notre box et notre Wi-fi, alimenter nos ordinateurs et tablettes (voire téléphones pour les plus hérétiques) et se diriger vers un portail de streaming en ligne pour se nourrir goulûment de Mank, œuvre familiale dont le réalisateur de Zodiac est l’héritier.
Fincher, Jack
L’origine des mots vient toujours de quelque part, et celle d’un film sur la naissance du plus grand classique hollywoodien vient de l’esprit d’un père aujourd’hui disparu : Jack Fincher. Décédé en 2003, le paternel de David avait écrit un scénario traitant d’un débat depuis longtemps usé, oublié, à Hollywood.
Qui a écrit le chef d’œuvre Citizen Kane ? L’ogre de metteur en scène et star des ondes radiophoniques, Orson Welles, ou un scénariste reconnu mais mis au ban des studios comme l’était Herman Mankiewicz ; le moins connu des deux frères Mankiewicz aujourd’hui ? Tout cela, inscrit dans un texte dévoilant les manipulations de studios sur le monde de la politique et leur influence sur la pensée américaine. Oui, il y a de quoi perdre un peu la tête face à cette œuvre massive, dense et riche. Comprenez donc l’excitation et les craintes de votre auteur.
Quelque part aux Etats-Unis – 1998 (Flashback)
David Fincher explose aux yeux du monde. Après avoir frôlé la disparition précoce suite à Alien 3, le réalisateur de pubs et clips trouve la rédemption avec un choc, Seven. Fort de ce succès, il se sent prêt à réaliser son rêve, adapter sur grand écran le scénario de son père, Mank. Le projet est accepté à hauteur de 13 millions de dollars, Kevin Spacey et Jodie Foster sont embauchés ; respectivement pour le rôle de Mank et Marion Davies. Seule condition : David Fincher doit réaliser The Game avant. Sauf qu’en 1998, l’idée d’un film tourné en noir et blanc finit par effrayer les décideurs des studios, ne sachant pas comment vendre le film à la télévision et surtout au marché de la vidéo. Le projet est mort-né.
Son père, Jack Fincher, meurt en 2003. David Fincher doit mettre le projet dans les cartons. Puis en 2019, un deal avec une plate-forme de streaming fait ressurgir le scénario. Netflix l’autorise ainsi à réaliser ce qu’il veut, et de la façon qui le souhaite. Un cadeau après le succès de House Of Cards et la réception critique prestigieuse de Mindhunter. Comme l’auteur de Citizen Kane, Mank ressort de la marge pour revenir sur la ligne du cinéma et des projecteurs.
Intérieur nuit – Début de soirée – Salon familial de l’auteur – vendredi 04 décembre 2020
Installé confortablement dans le canapé, avec femme et enfant, l’auteur active le portail Netflix à la recherche de Mank. Lumière éteinte. Volet fermé. Le manque de Fincher prêt à être comblé. D’entrée, il faut s’accrocher, madame n’ayant jamais vu Citizen Kane et connaissant encore moins l’histoire du Hollywood des années 30-40, semble perdue et peine à suivre le rythme déjà frénétique installé par le réalisateur de Social Network, dont Mank reprend la structure narrative.
Il faut le signaler pour le public le moins averti : Mank ne se savoure qu’en ayant une base solide en matière d’histoire du cinéma américain. Les références visuelles pleuvent autant que les averses de private jokes et anecdotes en tout genre. Celui ou celle qui accroche le TGV Fincher va danser au milieu du ballet atmosphérique de Trent Reznor/Atticus Ross qui nous gratifient une fois de plus d’une musique brillante.
La structure de The Social Network
En reprenant l’architecture de Social Network, Fincher permet à Mank d’être un film de procès. De procès d’intention envers un système hollywoodien perverti par la politique. De procès personnel à l’encontre de Herman Mankiewicz, âme perdue, qui ne se reconnaît plus au milieu de ces stars et patrons de studios avides de pouvoir et d’argent. Pour lui, le spectacle et le partage méritent plus de soleil sous les pavés du paradis perdu d’Hollywood. Mank est fatigué, alcoolique et endetté. Il a perdu amis et soutiens. Son studio ne veut plus de lui.
La planche de salut vient d’un jeune loup à l’appétit d’ogre. Orson Welles lui demande d’écrire son prochain film pour lequel il a un no limit validé par la RKO, ennemie de la MGM et ancienne maison de Mank. L’occasion, trop belle, de lui offrir un dernier coup de génie verbal sur ce qu’il pense du système qui l’a longtemps nourri. Le parallèle avec la carrière de Fincher est presque évidente, le carton introductif nous le présente d’ailleurs ainsi. Fincher a carte blanche et ce n’est pas Netflix qui va l’empêcher de dire ce qu’il veut sur l’usine à rêve américaine. Par ce prisme, Mank reprend le pamphlet virulent de Citizen Kane. Une autopsie d’un univers fantasmé mais qui soumet son audience à sa volonté. Même si, au milieu de ce brouillard, brillent parfois des étoiles d’espoir.
L’antagoniste de Once Upon A Time In Hollywood
Mank peut être vu comme l’antagoniste du Once Upon A Time In Hollywood de Quentin Tarantino. Ce dernier avait réalisé un fantasme de cinéphile, celui d’un rêve hollywoodien égaré mais retrouvé dans nos songes. Une belle naïveté enjolivée par une fin parfaite de film hollywoodien. DiCaprio montant les marches de la maison de Sharon Tate, ressuscitée tel un ange planant dans cette vallée de lumière.
Pour Fincher, Hollywood est un Paradis Perdu, perverti par des apôtres manipulant à leur souhait les mots des créateurs. Herman Mankiewicz est l’un de ses créateurs tentant de lutter contre le Mal rongeant le cœur de la magie. Cette lutte le noie dans l’alcool et les romances platoniques. Il y perd ses souliers de cuirs et sa mobilité charmante, devient cloué et forcé d’écrire encore et toujours. OUATIH était un conte de fée à la Perrault, pour Mank, il faut chercher du côté des Grimm. Notre héros, sauvé des eaux alcoolisées par un ogre mal intentionné qui n’en finira jamais de dévorer les lignes de son prête plume.
Des comédiens au sommet
Au milieu de cette sombre vallée envahie de brouillard menaçant subsistent des phares. La lumière, Amanda Seyfried sait parfaitement l’allumer. Elle est Marion Davies. Star du muet (dont on conseille Show People), elle est le phare dans la nuit du Citizen Kane de Mankiewicz. Équilibriste sur le fil du burlesque et du noir, Seyfried trouve le ton juste et s’accorde à merveille avec le grand numéro de Gary Oldman.
David Fincher ne voulait pas de make-up ou prothèse, il voulait Gary Oldman sans fard. L’acteur britannique lui rend bien en offrant à nos yeux une interprétation grand format. Tendre et fatigué, jouant du bon mot comme Tony Camonte pouvait jouer de la mitraillette, il donne à Mank cet esprit perdu et pourtant enjoué. Jusqu’à une scène de confrontation avec Orson – Tom Burke – Welles. Les deux hommes s’affrontent sur une scène vide de spectateurs. Un affrontement joué et qui inspire l’écriture. Un affrontement dont Gary Oldman fait le symbole de ce qu’est Herman Mankiewicz. La pensée toujours tournée vers les histoires. La sienne.
Intérieur nuit – Fin de soirée – Salon familial de l’auteur – vendredi 04 décembre 2020
Après 131 minutes intenses, l’auteur réalise qu’il vient certainement d’assister au visionnage de la plus belle œuvre de David Fincher. Pendant qu’il donne le bain à son bambin, il n’y aura pas de débat avec sa moitié sur la plastique du film. Mais revenons quand même sur la beauté de Mank. Le bain peut attendre. Erik Messerschmidt – directeur de la photographie de Mindhunter, Légion et Raised By Wolves – est un habitué des séries et de leurs diffusions sur tous les écrans disponibles à la demande.
C’est peut-être pour cela que Fincher l’a choisi pour donner vie à ce diamant. Rarement noir et blanc n’avait atteint une telle beauté crépusculaire. Un brouillard épais fait entrer les rares lumières au cœur de cette sombre œuvre. Le summum de cette beauté se révèle lors de la séquence du zoo. Presque lunaire. Presque antinomique face au rythme usant de la première partie de l’œuvre. Une pause d’espoir au milieu de ce monde en chute.
L’ivresse d’Hollywood
Cette chute de la maison Hollywood va par ailleurs être brillante et hypnotique dans l’acte des élections municipales. Au milieu d’un Mank en tourmente, Fincher le perd et le rend fou. Une ivresse désespérée, pour lui, qui souhaite la victoire du peuple sur les manipulations électorales des puissances créatrices. Fincher peut remercier Kirk Baxter, son monteur attitré depuis Benjamin Button, pour la prouesse qu’il déploie. La narration ne se perd jamais et gagne régulièrement en intensité, malgré les contraintes techniques étant de coller au plus près au style des films des années 30. On imagine le travail titanesque de l’étalonnage, connaissant l’obsession pour la perfection de Fincher.
Et c’est une réussite presque méta-filmique. Mank est pétri de références, le corps du film en est une lui-même. Une impressionnante citation de ce cinéma, auquel David Fincher, par les mots de son père, tente de rendre hommage. Du cœur, au milieu des heures sombres. Lui, le réalisateur, que ses détracteurs aiment à dire froid à cause de son besoin excessif de contrôle, réalise ici son œuvre la plus émouvante. L’ultime image de la remise de l’Oscar est l’ultime parallèle que l’auteur a pu faire entre Herman Mankiewicz et David Fincher. Lui qui n’a toujours pas, à ce jour, été récompensé par ses pairs.
Intérieur jour – bureau de l’auteur – samedi 05 décembre 2020
Un auteur d’articles sur le cinéma termine d’écrire sa critique au soleil de midi. Œuvre dense et complexe, Mank peut être cryptique pour les néophytes de Citizen Kane et surtout du Hollywood des années 30. C’est d’ailleurs le seul éclat au diamant qu’est le film de David Fincher. Une beauté euphorisante au rythme frénétique, dessinant le Hollywood d’hier et d’aujourd’hui avec la noirceur habituelle de son réalisateur.
Pourtant, au milieu de ce torrent, subsiste une rivière d’émotion vive et intacte, certainement au cœur de la plume du père, Jack Fincher. Ce qui donne cet aspect unique, précieux à Mank qui est, d’un point de vue subjectif, la plus belle œuvre de David Fincher. Un somptueux film référencé sur une période dorée de perversion d’un cinéma, à jamais écrit en lettres blanches au sommet de la vallée de Los Angeles. A ne pas manquer sur Netflix.
Disponible sur Netflix à partir du 04 décembre
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Super article ! Très juste sur la période cinématographique en question (c une fan de citizen kane qui parle) le film est juste magnifique dans son scénario et surtout dans sa réalisation, un noir et blanc aussi magnifique que les couleurs d’un avatar…. fincher va jusqu’à faire apparaître les repères de changements de bobine… Excellent à voir absolument et ton article et à la hauteur de ce chef d’œuvre