Cinquième film d’Amat Escalante, Lost in the night était présenté au Festival de Cannes dans la section Cannes Première. Cinq mois plus tard, le film arrive en salles et c’est un événement en soi, car il est rare que le cinéma mexicain soit mis en avant en France quand il ne s’agit pas du trio Cuarón-Iñarritu-Del Toro.
Dix ans après son prix de la mise en scène avec Heli, Amat Escalante est revenu à Cannes cette année avec Lost in the night, un autre film à la fibre sociale, mais qui cette fois délaisse la violence pure pour tendre vers le thriller. Un essai en demi-teinte, tant l’aspect bancal du propos dénote avec la beauté crépusculaire de la mise en scène.
« À la recherche des assassins de sa mère, activiste écologique opposée à l’industrie minière, le jeune Emiliano est abandonné par les autorités et décide de se faire justice lui-même en infiltrant la sulfureuse famille Aldama. »
Tous les hommes naissent violents et inégaux en droits
Thème récurrent de sa filmographie, la violence propre au Mexique est propice chez Amat Escalante à toutes les inventions formelles. Après la plongée ultra réaliste de Heli dans le monde des cartels et le voyage mâtiné de réalisme magique de La région sauvage, Lost in the night penche vers le thriller, un genre dont Escalante maîtrise grandement la mise en scène.
Dès la scène d’introduction, Escalante pose le décor avec un remarquable plan séquence, qui fait penser en même temps à l’aspect virtuose de True Detective et au côté crépusculaire de Sicario. Ici, peu de place finalement à la violence frontale ; c’est au contraire la violence sourde, presque pernicieuse des inégalités sociales mexicaines qu’Escalante assène. Semblant désespéré comme son personnage principal, Escalante peint un tableau cynique de son pays, dans lequel aucune politique ne semble jamais fonctionner bien longtemps, que ce soit la guerre contre la drogue des années 2000 ou les politiques plus axées sur le développement de l’actuel président Lopez Obrador.
Et quand la société écrase les classes populaires comme elle le fait au Mexique, elle fait naître un autre type de violence : celle des résignés qui n’ont plus rien à perdre. C’est dans cet état d’esprit qu’est le personnage d’Emiliano, solidement interprété par Juan Daniel Garcia Treviño. Sa quête de justice finit par le mener à tout sauf à la vengeance qu’il cherche, à mi-chemin entre la frustration de l’oublié à la Parasite et la pulsion malsaine du maltraité à la Nitram.
Astucieux dans son traitement de cette frustration qui devient résignation, Lost in the night laisse libre cours à l’interprétation. Au-delà des balises nécessairement calibrées du thriller, le film fait poindre des visions plus insidieuses, comme ces scènes où la pulsion de mort s’accompagne d’autres pulsions, sexuelles cette fois, comme si au centre de l’échiquier, le sexe n’était qu’une autre forme de violence. Une imagerie certes maintes fois vue, mais toujours pertinente.
Un coup de poing d’eau
Comme s’il était conscient que le thriller ne suffirait pas, Escalante essaie d’invoquer plusieurs autres thèmes que la seule quête de vengeance dans Lost in the night. Cette recherche de la complétude mène toutefois à un sentiment de trop-plein. En 2 heures, le drame côtoie la critique sociale, qui elle-même cohabite avec le thriller érotique et le film familial.
Bien moins fin que Parasite, Lost in the night dévoile une galerie de personnages assez stéréotypés, en particulier s’agissant de la famille Aldama et de la fille influenceuse (la surprenante Ester Exposito), qui n’a pas de profondeur en soi et n’a d’utilité que d’être une grossière métaphore des inégalités sociales. Une démonstration supplémentaire (après par exemple le décevant El Conde de Pablo Larraín) que le show sera toujours plus fort que le tell au cinéma. Mais si Escalante a dans Lost in the night une mise en scène assez précise, sa manière d’asséner son propos fait bien plus tell que show.
Manquant donc de continuité et d’un fil directeur, Lost in the night souffre de sa volonté de tout dire, comme si Escalante avait voulu faire son film-somme à seulement 44 ans. En voulant être trop percutant, le film finit par ne l’être que trop peu dans l’ensemble de son propos. Escalante dilue sans le vouloir la puissance de son récit ; un résultat regrettable tant la mise en scène est puissante de l’autre côté.
Pays aux mille facettes, le Mexique est une terre d’espoir, d’opportunités, mais aussi de violence et d’injustice. Parfois perdus dans la nuit, les Mexicains des classes populaires vivent la réalité d’un pays à deux vitesses.
Voilà le vaste programme que tente de réaliser Amat Escalante dans Lost in the night, une œuvre aussi puissante formellement que brouillonne du reste, l’ambition ayant sûrement dépassé le postulat de base. Lost in the night reste néanmoins un film à voir, pour toutes les raisons citées ci-dessus, mais aussi parce qu’il est une fenêtre sur un cinéma peu distribué en France, celui dé l’Amérique latine des « seconds » couteaux, d’Amat Escalante à Juan José Campanella ou à Alejandro Landes.