Après avoir travaillé sur Devilman Crybaby et réalisé Shishigari, Kiyotaka Oshiyama adapte la nouvelle Look Back de Tatsuki Fujimoto.
Une nouvelle à la fois touchante et onirique, parfaite pour les mains d’Oshiyama, qui signe des œuvres contemplatives aux scénarios épineux. Mais Look Back est une œuvre singulière dans la manière dont elle questionne les artistes. Comment se mettent-ils en compétition ? Comment entretiennent-ils une relation saine avec leurs propres créations ? Et comment ne pas s’oublier dans les multiples processus créatifs ? Tant de questions aux réponses aussi fragiles que la mine du crayon.
« Fujino, adolescente surdouée, a une confiance absolue en son talent de mangaka en herbe. Kyômoto, elle, se terre dans sa chambre et pratique sans relâche le même art. Deux jeunes filles d’une même ville de province, qu’une passion fervente pour le dessin va rapprocher et unir par un lien indéfectible… »
I have a dream
Lorsque les petits dessins sur nos cahiers n’étaient que de simples expressions de l’ennui, pour d’autres, ils incarnaient déjà la manifestation d’un rêve. Un rêve qui se déclinait en deux aspirations distinctes. D’un côté, le désir de partager ses œuvres avec le monde entier. De l’autre, la création pour le simple amour de l’art. C’est dans cette dualité que s’ancre toute la richesse des deux personnages principaux de Look Back.
D’un côté, l’âme créative qui rassemble ; et de l’autre, l’âme discrète dont les œuvres ne franchissent pas la porte de la chambre. Mais lorsque Fujino rencontre Kyômoto, au-delà de leur complémentarité, c’est la réalisation d’un objectif commun qui donne vie au récit. Tout, au premier abord, semble d’une facilité déconcertante. Le film se déroule dans une légèreté apparente et une douceur sibylline.
Sortir de la case
Cependant, si le style de Fujimoto est brillamment retranscrit ici, ce n’est plus le lecteur qui maîtrise le rythme de l’histoire, mais Oshiyama. En adaptant Look Back, ce dernier extirpe le récit de ses cases en noir et blanc pour lui insuffler couleur et ambiance sonore. Ainsi, là où la tension, encore diffuse, pouvait surgir à un rythme plus ou moins aléatoire dans le manga, elle est dans le film intensifiée, rendant son impact d’autant plus puissant. Cela permet à l’histoire de résonner avec une profondeur accrue, renforçant toute la dramaturgie qui, jusque-là, peinait à se dissimuler.
Lorsque Oshiyama s’aventure hors des sentiers battus, il offre à son adaptation des instants de liberté artistique. L’évolution des personnages s’entrelace alors avec les métamorphoses de l’animation. À l’image de Steve brisant les bandes noires dans Mommy de Xavier Dolan, Fujino libère son esprit, laissant défiler ses pensées intrusives. Cette ouverture offre à Oshiyama l’occasion de donner vie à une animation fluide, presque déformée, mais toujours d’une délicatesse infinie. Ainsi, l’adaptation dépasse son statut initial pour devenir un élan d’innovation, un hommage vibrant et amoureux à l’œuvre originelle.
La légèreté de la page tournée
Les récits de Tatsuki Fujimoto explorent un large éventail d’émotions. Cependant, certaines de ses œuvres posent des défis en matière d’adaptation cinématographique. Look Back, par exemple, commence dans un cadre très léger avant de basculer vers un retournement de situation violent et potentiellement traumatisant pour les spectateurs les plus sensibles. Malgré cela, les résolutions demeurent simplifiées, ce qui peut diviser l’audience. Certains y verront une forme de naïveté poétique, tandis que d’autres percevront une facilité scénaristique qui pourrait les frustrer.
Cela constitue également une difficulté d’adaptation, car si la tension dramatique n’apparaît qu’à la toute fin du film, rendant l’événement particulièrement percutant, sa résolution légère risque de déstabiliser le spectateur non averti. Une sensation qu’il n’est pas vraiment possible de ressentir lors de la lecture de Look Back. En effet, celui qui lit les nouvelles de Fujimoto connaît aussi toute l’absurdité qui se dégage de ses récits. Pourtant, Oshiyama parvient à instaurer un rythme et une légèreté qui préparent habilement le terrain. Tant pour la tristesse de la situation que pour son ubuesque dénouement.
Regarder vers l’avenir pour mieux se retourner
Comme mentionné plus haut, Look Back reflète les interrogations artistiques propres à Tatsuki Fujimoto. Ces doutes sont également partagés par Oshiyama, ce qui se ressent profondément tout au long du film. Des premiers tâtonnements de la créativité à l’accomplissement d’une œuvre, tout est mis en scène pour explorer les différentes approches de l’art. Kyômoto et Fujino sont présentées sous des prismes distincts, ce qui enrichit non seulement leur relation, mais aussi leur développement personnel.
Malgré ses 58 minutes, la lenteur du récit et les différentes situations permettent un attachement presque immédiat. Look Back offre une histoire aux possibilités infinies, tout en ne laissant aucun doute quant à la destinée de ses personnages et de son scénario. L’écriture se distingue par une justesse étonnante, et les moments de pause offrent un souffle bienvenu dans cette course contre la montre, où l’on cherche à saisir le véritable enjeu du récit. Grâce à ces éléments, chacun en ressort grandi. Les leçons véhiculées par l’histoire touchent aussi bien les auteurs que les personnages et les spectateurs.