L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier : Un bon film de cube

Du blanc partout. Des blocs immenses de marbre, à l’état brut, à l’état pure. Carrare est là. Non, je ne vous parle pas ici d’une scène de The Brutalist, sorti en début d’année, mais bien de L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier, son 4e long-métrage.

Après sa chronique corse Borgo, sortie la même année qu’À son image ou Le Royaume. L’inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier, apporte sa pierre à l’édifice de la remise en lumière de la figure de l’architecte et s’inscrit une nouvelle fois, inconsciemment, dans une mouvance actuelle.. Mais bien qu’il revienne à ses premiers amours (Demoustier a réalisé des documentaires sur l’architecture lors de son passage au Ministère de la Culture), c’est surtout toutes les thématiques qu’il peut y incorporer qui semble l’animer ici.

« 1982. François Mitterrand (Michel Fau) lance un concours d’architecture anonyme sans précédent pour la construction d’un édifice emblématique dans l’axe du Louvre et de l’Arc de Triomphe. À la surprise générale, c’est un architecte danois de 53 ans, inconnu en France , qui l’emporte. Du jour au lendemain, Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang) est propulsé à la tête du plus grand chantier de l’époque. »

©Julien Panie

Les 12 travaux de Spreckelsen

Une idée de départ, individuelle, propre au réalisateur, vient rencontrer le collectif, les contraintes techniques. Réalisateur et architecte, même combat. C’est ce que semble imager dans L’Inconnu de la Grande Arche, Stéphane Demoustier. Et le réceptacle de cette notion porte un nom à faire rougir certains méchants de James Bond : von Spreckelsen.

Derrière la figure de l’inconnu, aussi mystérieux qu’un brumeux matin danois, se dresse un géant. Claes Bang, vu dans The Square, est comme un viking moderne. Silhouette immense, petit air de Gérard Lanvin, l’acteur – qui a appris le français pour le rôle – incarne avec grâce et sans mimétisme, l’architecte danois plongé dans l’univers mondain et bureaucratique tricolore. « Il n’est pas à la même échelle », nous glissait en interview Demoustier, en filant la métaphore architecturale. Le décalage visuel saute aux yeux. La forme pour accentuer le fond.

Car comme un Astérix dans les 12 travaux, von Spreckelsen ne veut pas faire de compromis, mais le système est contre lui.  Et bientôt les jeux de pouvoir et de politique aussi. C’est aussi là l’intelligence de Demoustier, derrière la plongée de son personnage dans un monde qu’il ne connaît pas, il livre un regard sur une époque.

Mais si encore une fois la base est réelle (Borgo était inspiré d’un fait réel, L’Inconnu de la Grande Arche est tiré d’un livre enquête de Laurence Cossé), Demoustier aime y aller de son interprétation. Surtout, il aime à cultiver dans sa filmographie un caractère éminemment social, presque sociologique. Comment le choc entre un personnage et un univers que tout oppose va avoir des répercutions sur son entourage ? Ainsi, le personnage de Liv, la femme de Spreckelsen (joué par Sidse Babett Knudsen) apparaît, s’étoffe, jusqu’à en devenir presque central.

©Julien Panie

Les aventuriers de l’arche 

Le tout en mélangeant les genres comme on mélangerait les matériaux. On passe de la comédie (notamment grâce à un génial Michel Fau en François Mitterrand monarchique) au drame. On reste en revanche sur un format 1:37 tout du long. Important, logique, obligatoire ? Peut être un peu des trois, tant la carrière et la vie de von Spreckelsen a été infusée de cette forme cubique. Demoustier y fait donc attention et construit son image avec un souci géométrique.

Pour autant, comme tout bon architecte/réalisateur, il a aussi picoré des idées de l’équipe qui l’entourait. Ainsi, afin de rendre réaliste la construction de l’Arche, il a laissé Lise Fisher et ses équipes des VFX animer des images d’archives, pour un résultat à la hauteur du cube.

S’il y a donc des similitudes minimes avec The Brutalist (l’importance du marbre, la plongée d’un personnage dans un milieu étranger) il y a une différence majeure. Le temps. Si Brady Corbet allait jusqu’à mettre en place une entracte dans son récit fleuve, Demoustier reste sous la barre des 2 heures (1h45).

« Je préfère faire des films qui posent des questions plutôt que des films qui y répondent » justifie-t-il. Pour autant, on reste presque sur notre faim. Notamment face à cette dernière partie en accélérée. On aurait encore aimé, après la mise en place de belles fondations, que la psyché post échec de von Spreckelsen soit développée. Que l’évolution de sa relation avec Liv ne soit pas évoquée que par un plan. Demoustier boucle tout de même la boucle visuellement tout en symbole et confirme avec L’Inconnu de la Grande Arche, sa versatilité.

Même sans aimer l’architecture, on ne peut qu’aimer L’inconnu de la Grande Arche et son histoire à hauteur d’ambition d’homme. Demoustier y file ses thématiques tout en dirigeant un casting XXL qui compose une fresque protéiforme qu’on aurait aimé un poil plus fignolée.

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