Trois ans après le très remarqué La Fièvre de Petrov au Festival de Cannes, Kirill Serebrennikov revient sur grand écran avec Limonov, la ballade, présenté également en compétition sur la Croisette cette année.
Après Leto, La femme de Tchaïkovski ou encore La fièvre de Petrov, Kirill Serebrennikov revient en passant encore par la grande porte de Cannes. Étant lui même exilé politique depuis peu, comment ne pas faire le rapprochement avec Edouard Limonov ? Avec Limonov, la ballade, Serebrennikov confirme son immense talent de metteur en scène et de réalisateur, avec un film racontant la noirceur de l’âme humaine dans sa complexité, tout en parlant d’un pays fracturé par sa politique et ses idées.
« Militant révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut tout à la fois un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov (Ben Whishaw), telle une traînée de soufre, est une ballade à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au coeur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle. »
Twist again a Moscou
Loin d’être un chemin bordé de roses, Limonov la ballade est le portrait d’un anti-héros détestable au possible. Misanthrope, sexiste, salaud, masochiste : Kirill Serebrennikov nous raconte la vie d’un personnage exécrable. Mais il le fait avec une mise en scène débordante d’originalité et d’idées inventives. Le récit est d’emblée intrigant, nous plongeant dans un biopic qui se démarque dans le genre. Un anti-héros, une mise en scène au rythme rock’n’roll, le tout sublimé par des plans-séquences brillants.
Serebrennikov nous raconte la vie de ce poète russe, qui recherche la célébrité et la reconnaissance de son talent. Seulement, en apprenant qui est cet abominable homme, le réalisateur apporte une dimension psychologique autour de lui. Les émotions ressenties sont fortes. Tantôt on le déteste, tantôt on a pitié, tantôt on peut comprendre des actions de sa part… Mais cela, toujours d’un œil scrutateur, en pénétrant aussi bien sa vie que ses pensées et son intimité. Même les mauvaises personnes apportent les plus grandes réflexions sur la nature humaine.
Papers, please
La mise en scène est follement passionnante, traversant une Russie qui se ferme au monde et une Amérique libre et heureuse, dans un moment de l’Histoire où le monde essayait de revivre à sa manière. Souligné par une bande-son délirante aux transitions des chapitres de vie d’Eddie plus déjantée les unes des autres, Limonov, la ballade confirme que Serebrennikov ne raconte pas seulement des histoires, mais nous transmet toute une époque. Les décors sont teintés de la nostalgie de ces années et le montage vient rendre à ce film, toute sa réussite scénaristique, en donnant une énergie punk, rock et dissidente à la direction artistique.
On peut alors regretter le film soit exclusivement, ou presque, tourné en langue anglaise… L’âme russe du film perd de sa saveur, malgré des acteurs justes exceptionnels et une écriture si rythmée. Le choix de l’anglais peut parfois nous sortir de l’histoire de cet homme, surtout dans les moments avec sa famille ou en Russie. Les 2h18 que dure le film, ne sont ainsi pas exempts de baisses de rythme.
Une consolation à ces quelques défauts : Ben Whishaw est épatant dans l’incarnation (car c’est une incarnation à ce stade) de cet homme portant les pires défauts de l’humanité. Il en va de même pour Viktoria Miroshnichenko, incarnant Elena avec passion, cette femme qui a traversé courageusement une bribe de la vie d’Eddie.