À bout de souffle, Suzanne ne parvient plus à avancer. Sous peu, elle sera échec et mat. Accompagnée de deux enfants, il ne lui ait pas permis de reculer d’une case. Quelle solution lui reste t-elle, si loin de l’arrivée ? Sans juger son personnage, Nathan Ambrosioni explore les vertiges de l’absence à travers Les enfants vont bien.
Nous aurions déjà pu l’imaginer défiler sur les tapis rouge des plus grand festivals, mais c’est au sein du Festival d’Angoulême – où il remportera le Valois de diamant – que Les Enfants vont bien débutera son envolée. Les retours en ressortent unanimes, ce qui eut la qualité d’éveiller notre curiosité. Ne bouclez pas vos top de l’année trop vite, le mois de décembre et Nathan Ambrosioni ont peut-être des surprises à vous dévoiler.
« Un soir d’été, Suzanne (Juliette Armanet), accompagnée de ses deux jeunes enfants, rend une visite impromptue à sa soeur Jeanne (Camille Cottin). Celle-ci est prise au dépourvu. Non seulement elles ne se sont pas vues depuis plusieurs mois mais surtout Suzanne semble comme absente à elle-même. Au réveil, Jeanne découvre sidérée le mot laissé par sa sœur. La sidération laisse place à la colère lorsqu’à la gendarmerie, Jeanne comprend qu’aucune procédure de recherche ne pourra être engagée : Suzanne a fait le choix insensé de disparaître… »

Partir un jour, sans retour
Toc, toc… après deux ans loin des yeux et loin du cœur, Suzanne fait un retour inattendu dans la vie de sa sœur ainée Jeanne, accompagnée de ses deux enfants. Malgré l’instabilité de leur relation, une forme de vulnérabilité parvient à trouver refuge. La musique, cachée en arrière plan, annonce pourtant déjà que ce semblant de famille s’apprête à vivre un drame. En effet Jeanne n’est pas au bout de ses peines : sa petite sœur a embarqué avec des turbulences plein ses valises. Nathan Ambrosioni ne laisse pas place au doute avec le départ soudain de Suzanne de la maison. Le genre est installé, dans les souliers déjà façonnés par Kore Eda.
« Je voudrais dormir et ne plus penser ». Sur les airs de Petula Park (La nuit n’en finit plus), Suzanne confie son fardeau à son aînée. Morphée semble lui avoir tourné le dos, aggravant l’effondrement intérieur qui la ronge. Si le film parait, à première vue, porter sur l’enfance, il n’est pas ici question d’épouser leur insouciance ni de suggérer une forme de nostalgie autobiographique. Rappelant les traits tourmentés de Paul Mescal dans Aftersun, Les Enfants vont bien traite sans filtre de la perte. Celle d’un proche, certes, avec le départ de Suzanne, mais également la perte de soi, de temps, de repères. La vie semble agir comme un rouleau compresseur sur ces personnages coincés dans une réalité trop lourde pour eux.
De battre mon cœur s’est arrêté
Le diagnostic est lourd. Suzanne – et elle ne sera pas la seule – souffre d’un encombrement de mots coincés dans la gorge. Ces mots qu’elle ne parvient pas à formuler, à faire comprendre, ceux qu’elle attend et qu’elle laissera en partant. Comme le rappelle sa sœur Jeanne, comme pour nous poignarder un peu plus au cœur : « parfois on s’aime et on prend pas le temps de se le dire ». Avec Les Enfants vont bien, Nathan Ambrosioni pèse chaque parole et compose des dialogues d’une justesse marquante, qui ne peuvent qu’embuer nos yeux.
Camille Cottin, de retour auprès du réalisateur après Toni, en Famille, ne se contente pas de porter un rôle à l’écran mais l’incarne avec vitalité. Un rôle sur mesure. Elle et Jeanne ne font plus qu’un, révélant une mise à nue inédite de la part de l’actrice. À la fois force de la nature et impuissante face au silence, Jeanne tente de bâtir un quotidien à l’aide de nouveaux murs porteurs. Pour cela, elle est accompagnée d’une galerie de personnages secondaires singuliers profondément intéressants et portés par un casting impeccable. Cependant, malgré ses efforts et même si l’union fait la force, « c’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver, l’amour n’a rien à voir la-dedans » – Mommy, Xavier Dolan.

Esprit es-tu là ?
Aux côtés de ces personnages brisés, nous voguons fantomatiquement pour observer le temps défiler. Placés discrètement derrière un mur, cloisonnés dans un cadre resserré, ni nos sentiments ni les leurs ne viennent empiéter sur la frontière qui nous séparent. Entre Ghost Story et Presence, la pesanteur de Les Enfants vont bien forme un voile entre passé et présent où le goût, les odeurs et les souvenirs brouillent l’instant présent. Mais est-ce vraiment nous qui épions le quotidien de Jeanne et ces enfants ? La caméra ne serait-elle pas le regard de Suzanne ? Présente et vigilante, malgré elle.
Le temps d’un silence, on croirait presque deviner l’ombre d’un souffle à la Michael Myers. Ce même silence si pesant lorsque les enfants rêveront leur mère à l’autre bout du téléphone. L’attente d’une respiration en devient insoutenable, nous plongeant en apnée. Le thème du deuil et de la séparation a été de mainte fois porté à l’écran, mais Nathan Ambrosioni parvient à l’accorder à une sororité, une solidarité, un amour, une diversité – tout cela avec simplicité. Avec ce troisième long métrage, il affirme la justesse de son écriture et de sa direction de casting. Ne manque plus qu’un soupçon de danger et d’intimité pour dévoiler ses pleins talents.
Finalement, Les Enfants vont bien aux côtés de Jeanne. Camille Cottin, en grande sœur déboussolée, y trouve son plus beau rôle, révélant la vérité des mots d’Ambrosioni et la délicatesse d’un film qui sait dire l’indicible.
