Les Enfants Rouges de Lotfi Achour : La Menace fantôme

Les enfants rouges Lotfi Achour

Inspiré d’une histoire vraie, Les Enfants Rouges, le très réussi deuxième long métrage de Lotfi Achour, nous plonge dans l’âme chamboulée d’un adolescent, témoin survivant d’une attaque terroriste.

Quelle symbolique se cache derrière le titre Les Enfants Rouges, deuxième long métrage de Lotfi Achour, l’homme de théâtre formé au documentaire et adepte du format court ? Dans la région où prend place le récit, « être « rouge », c’est être vaillant, résilient, capable de faire face à l’adversité », éclaire le cinéaste tunisien dans le dossier de presse relatif au film.

« Alors qu’ils font paître leur troupeau dans la montagne, deux adolescents sont attaqués. Nizar (Yassine Samouni), 16 ans, est tué tandis qu’Achraf (Ali Helali), 14 ans, doit rapporter un message à sa famille. D’après une histoire vraie. »

© Nour Films

La non symphonie pastorale

De courage et de contenance, il est question dans ce drame mythologique, tirée de faits réels, ancrés dans une période tourmentée politiquement en Tunisie en 2015. Deux jeunes cousins, Nizar, 16 ans, et Achraf, 14 ans, font paître leur troupeau de chèvre dans la montagne dans la montagne de Mghila, située dans le centre-ouest tunisien, près de la frontière algérienne.

Au cœur de ce paysage désertique, réduit à l’aridité sous un soleil de plomb, rien ne laisse présager le drame. Les premiers plans, larges, déroulent une mise en scène naturaliste. La somptueuse photographie très picturale de Wojciech Staroń évoque Nuri Bilge Ceylan ou Andreï Tarkovski.

La balade des deux bergers, enfants insouciants et badins, s’annonce récréative tant le danger imminent est invisibilisé. Elle tournera à la tragédie lorsqu’ils seront cernés par un groupe de jihadistes dont le spectateur n’en verra que les pieds. Achraf assiste impuissant au crime effroyable sur son ainé décapité.

Sans attendre, les barbares somment le survivant de rapporter la tête ensanglantée de son cousin à la famille. Dès lors, la suite du récit se tisse dans le regard hagard d’un Achraf brisé.

Le retour au village qui s’ensuit est une vivisection de l’âme de l’enfant détenteur d’un message glaçant. Plutôt que de miser sur l’horreur, le réalisateur opte pour une exploration chimérique du psyché d’un jeune garçon qui doit surmonter son trauma, entre rêves surréalistes, jeux d’enfants et perte de conscience.

© Nour Films

Famille décomposée

Puis le film se met à graviter autour de la famille du défunt, accablée par le malheur. Là encore, la caméra organique de Lotfi Achour parvient à nous offrir des instantanés de réalisme poétique en s’approchant au plus près des corps.

Un carrousel de portraits affligés défile sous nos yeux. Mère éplorée, grand frère convulsif… Toujours sous les yeux candides d’Achraf, plus en retrait, mais qui n’en a pas terminé avec son calvaire. En effet, il doit retourner sur la montagne pour retrouver le reste du cadavre de Nizar, afin que la famille puisse faire son deuil.

Primé pour sa mise en scène au festival de Saint-Jean-de-Luz en 2024, sélectionné à Locarno la même année, Les Enfants Rouges est une fable politique qui se distingue par sa vision empathique, où la suavité tend à supplanter la barbarie d’un fait divers qui a ému tout un pays. Inévitablement, on pense à Timbuktu (2014), d’Abderrahmane Sissako, tout aussi ancré dans la réalité, avec cette même volonté de dénoncer les tourments inouïs infligés par le terrorisme.

Lotfi Achour fait preuve ici d’une remarquable maîtrise technique et stylistique pour livrer après Demain dès l’aube (2016), un deuxième film très abouti dénué de misérabilisme, nous offrant en sus le plaisir de sortir des sentiers battus par le thème abordé.

En prenant le parti pris de la douceur, le réalisateur parvient avec talent à cristalliser l’abandon et l’impuissance des populations face aux dérives d’un pays toujours en mouvement. Porté par des acteurs pour la plupart amateurs, Les Enfants Rouges marque les esprits. 

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