Après avoir traumatisé la France avec son drame familial Jusqu’à la Garde, Xavier Legrand est de retour, via le Québec, pour narrer une nouvelle sordide histoire de paternel envahissant, même après sa mort.
Pas simple de réaliser son deuxième long-métrage, surtout quand le premier a été un succès critique et public. Le successeur de Jusqu’à la garde porte bien son nom de « film d’après », tout en tranchant radicalement avec son prédecesseur. Legrand rompt formellement avec le naturalisme de ce dernier pour livrer un thriller surprenant, inquiétant, parfois drôle, et surtout mortellement féroce sur l’atavisme de la filiation.
« Ellias (Marc-Henri Grondin) devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de Haute Couture française. Quand il apprend que son père vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias se rend au Québec pour régler la succession. Mais son père lui lègue plus qu’une collection de timbres »
Le Néon démon
Ellias, le protagoniste principal, n’est pas un garçon sympathique. Incarné par l’impeccable Marc-Henri Grondin (désormais sans cheveux mais avec une belle barbe), c’est un anti-héros qui traite les mannequins féminins de sa collection comme de vulgaires porte-manteaux. C’est le propre de l’impitoyable milieu de la mode, me direz-vous. Mais quand Ellias écarte autoritairement et sans scrupule le mannequin vedette de sa maison, on se dit qu’il finira sans doute bientôt dans un prochain #MeToo. Et le milieu de la mode déteste le scandale.
Que le spectateur soit prévenu : il sera surpris par ce que découvrira Ellias chez son défunt père. Ainsi, ce papier évite soigneusement le moindre spoiler, qui atténuerait le choc de la découverte.
En adaptant librement le roman L’Ascendant d’Alexandre Postel, Legrand fait le choix délibéré de centrer son film sur ce personnage fuyant, insaisissable et aux réactions surprenantes, dont les contours évoqueraient le Meursault de l’Etranger de Camus. Etranger, Ellias le devient en retrouvant le Québec. Longtemps déraciné de cette patrie d’origine, il renoue avec un passé familial toxique, et accessoirement, avec l’accent de Xavier Dolan.
Je règle mon pas sur le pas de mon père
A partir de là, tout bascule. Pour le personnage certes, qui se retrouve face à une révélation aussi étonnante que glaçante au sujet de son paternel. Mais aussi pour le spectateur, qui découvre un thriller mâtiné d’humour noir. Un film qui sait faire sursauter et instiller une tension dramatique, et dans le plan suivant, nous faire rire nerveusement.
Comme lors de cette séquence rocambolesque, où Ellias explique benoitement au téléphone qu’il ne peut pas encore rentrer à Paris, car il est « pris dans les affaires de son père ». Littéralement. Il vient en effet de percuter, bousculer, balancer dans l’escalier, les « affaires » de son père. Ou bien lors de ces funérailles tragi-comiques, où le twist déchirant du film nous apparaît au son du guilleret « Fais comme l’oiseau » de Michel Fugain.
Legrand brouille ainsi les codes du genre avec un certain talent, désarçonnant le spectateur qui ne sait comment réagir. Si on ajoute au tableau la météo neigeuse de l’hiver montréalais, on croirait que l’ambiance de Fargo des Frères Coen n’est pas bien loin. Une rupture de ton bienvenue dans le paysage du thriller français.
Mon père ce héros
Le lien évident entre le Successeur et Jusqu’à la garde, c’est bien évidemment la toxicité de la figure paternelle. Un père, qui même mort, revient hanter le présent de son fils. Legrand illustre les similitudes des deux hommes par quelques plans révélateurs : Ellias choisit froidement sur sa tablette, les mugshots des filles pour porter ses créations vestimentaires. Il les choisit probablement aussi scrupuleusement que le faisait son père, pour ses « affaires ».
Au fur et à mesure que le film avance, Grondin s’emmure dans ce costume de monstre froid. Il pourrait aider son ancienne camarade de promotion d’école de stylisme, qui se morfond dans son emploi aux pompes funèbres, et rêverait surement du moindre strapontin dans la haute-couture. Il n’aura pas un regard pour elle.
A travers la parabole du Successeur, père comme fils traitent les femmes de la manière, comme on rangerait un meuble. Et cela sans même avoir partagé beaucoup de temps ensemble. Simplement par une forme d’hérédité sociale masculiniste. Ou bien, serait-elle génétique ? Si l’affiche du film évoque celle de Tueurs Nés d’Oliver Stone, ce n’est peut-être pas par hasard.