Depuis le 21 Mai, vous pouvez profiter d’une ressortie en 4K par Splendor Films de deux monstres du cinéma poétique, deux oeuvres angulaires dans la carrière de leur auteur : Le Sang d’un poète et Le Testament d’Orphée de Jean Cocteau.
Artiste complet, aussi difficile à suivre que facile à apprécier, Jean Cocteau était tant un romancier qu’un dessinateur, un dramaturge et un cinéaste. Mais, dans tout ce qu’il fit, il restait, avant tout et pour toujours, un poète.
Le Sang d’un poète : « Sur l’injonction d’une statue douée de vie, un poète plonge dans un grand miroir et découvre, de l’autre côté, un monde étrange et fascinant. »
Le Testament d’Orphée : « Convoquant son Panthéon personnel (Jean Marais, Maria Casarès, Picasso, Lucia Bosè…), Cocteau se met en scène dans un songe éveillé, errance dans le temps et l’espace au milieu de créatures mythologiques et fantasmagoriques. Même si « les poètes font semblant d’être morts », ce testament est bel et bien le sien, bouleversant. »

Orphée-moi rêver
En 1923, Cocteau écrivait : « J’ai une grande nouvelle triste à t’annoncer : je suis mort« . En 1963, il ne l’annonçait pas, mais c’était tout aussi vrai. Jean Cocteau décède trois ans après son Testament d’Orphée (1960), et laisse éploré toute la sphère artistique française. Mais ce n’est pas ici que s’arrête son histoire, encore au programme du Bac 2025 avec sa Difficulté d’être et à qui on rendait encore hommage à la croisette pour le dernier film de Richard Linklater Nouvelle Vague. Alors comment parler de ce cinéaste à la fois si reconnu et si peu regardé ?
Le Sang d’un poète comme Le Testament d’Orphée font partie, avec Orphée, d’une trilogie officieuse. Films-essais, où la compréhension est mise à mal par l’esprit poétique, on se plait à s’y perdre, à rafistoler, ou non, différents morceaux comme on le ferait de morceau de cadavres pour composer sa créature de Frankenstein. La ressortie en salles, exercice périlleux pour les distributeurs et important pour la pérennité cinématographique, est aussi un moyen de (re)voir et confronter le film à un regard neuf, savoir ce qu’il reste du chef-d’œuvre après toutes ces années.
Cocteaumachie
Il est toujours difficile de savoir « de quoi » parlent les films de Cocteau. Est-il seulement intéressant de le savoir ? Les oeuvres du poète ont cette qualité qui est parfois le défaut des mauvaises franchises : il faut combler les trous. C’est au spectateur d’ajouter sa propre lumière aux manques du film.
Qui est cette personne, quel est cet endroit, que raconte-t-on ? Comme si David Lynch s’était épris de la Grèce antique, Cocteau sème ça et là autant d’indices que de fausses pistes. Il nous force à récupérer des morceaux de ses idées pour en faire un corps cinématographique complet et aussi difforme que magnifique.
Comme il s’amuse de la forme dans ses écrits, il le fait dans ses films. Le Sang d’un poète se fracture en quatre parties distinctes et pourtant fluides, connectées. Le Testament d’Orphée, lui, fracture chacun de ses instants en jouant sur son montage, en utilisant des astuces visuelles aussi visibles que charmantes.
Montage poétique ou l’art de n’y rien comprendre
Les deux films n’ont pas pour vocation de cacher l’artifice. Si l’on peut voir, alors on doit montrer. Un plan est monté à l’envers, parfois un cut fait disparaître le personnage. Les encarts sont écrits en prose et les dialogues ressemblent plus à des échanges shakespeariens. Le montage de Cocteau, c’est avant tout le travail de l’assemblage artistique, c’est un outil pur, au service de la métaphore, pas un simple assemblage de plans succincts.
En ressortent deux oeuvres singulières, absolument différentes, car séparées de presque trente ans, et pourtant raccords. Deux propositions radicales sans être difficile d’accès. Le cinéma de Jean Cocteau est, et restera une successions d’œuvres qui s’expérimentent comme bon il semble. En lisant sa poésie ou non, en en respectant l’ordre ou non : il est toujours mieux de se lancer dans une épopée du sublime sans rien en savoir. Et comme le concluait si bien le vrai titre du Testament d’Orphée : ne me demandez pas pourquoi.
