Le Procès du Chien de Lætitia Dosch : Anatomie d’un mordeur

Pour son premier long métrage Le Procès du Chien, Lætitia Dosch met en scène un film de procès singulier et loufoque, mélangeant une tonalité comique à des questionnements profonds sur la différence.

Les films de procès ont définitivement le vent en poupe. Les épatants Anatomie d’une Chute de Justine Triet et Le Procès Goldman de Cédric Kahn l’an passé en sont les exemples les plus récents, et parlants. Difficile pourtant de renouveler ce genre bien huilé dans le paysage cinématographique, souvent cloisonné entre les quatre murs d’une salle d’audience. Dans Le Procès du Chien, l’innovation vient du fait que l’accusé est ici… un chien. Et si certains ont été déçus par Les Chèvres de Fred Cavayé sorti plus tôt cette année, où une chèvre est mise sur le banc des accusés, le premier long métrage de la comédienne franco-suisse est pour sa part une petite réussite.

« Avril (Laetitia Dosch), avocate abonnée aux causes perdues, s’est fait une promesse : sa prochaine affaire, elle la gagne ! Mais lorsque Dariuch (François Damiens), client aussi désespéré que sa cause, lui demande de défendre son fidèle compagnon Cosmos (Kodi) qui a mordu à trois reprises, les convictions d’Avril reprennent le dessus. Commence alors un procès aussi inattendu qu’agité : le procès du chien. »

© Bande à Part Films Atelier de Production RTS Radio Télévision Suisse SRG SSR France 2 Cinéma

À son image

Artiste inclassable, Lætitia Dosch cumule les projets étonnants depuis ses débuts. De sa pièce de théâtre Hate (2018), où elle performe nue en duo avec un cheval, à son podcast Radio Arbres (2021), libre antenne pour les végétaux, en passant par ses interprétations de femmes singulières en quête de liberté (La Bataille de Solférino, Jeune Femme, Passion Simple), la quadra franco-suisse s’avère être une adepte de l’originalité et de l’excentricité. Pour son premier passage derrière la caméra, elle parvient à faire un film à son image. Aussi fou que drôle, s’octroyant même des sauts dans l’autodérision – l’actrice se moque notamment de sa voix qui part régulièrement dans les aigus.

Ouvertement militante de gauche, féministe et écologiste, Lætitia Dosch livre un film de procès de prime abord léger et comique qui touche profondément par les valeurs qu’on connaît de sa réalisatrice. Si ce procès peut s’avérer être une blague, elle n’en est finalement pas une pour Dosch. Inspiré d’un fait divers réel et du roman Chien Blanc de Romain Gary, Le Procès du Chien lui permet d’entremêler les bases d’une comédie satirique au soulèvement de questionnements plus sérieux, révélant les paradoxes et différends de notre société, que l’on soit humain ou animal.

J’ai ri…

Le Procès du Chien captive par son mélange de tons et sa capacité à jongler entre les différentes strates de son scénario. Au départ plutôt tourné vers la comédie (malgré quelques rares vannes qui tombent à l’eau), appuyé par une colorimétrie acidulée et la voix off de la réalisatrice, Le Procès du Chien nous immerge dans un monde dicté par l’absurdité des administrations et des hommes où l’étrangeté, le grotesque et la brutalité sont choses communes et amplifiées. Ce monde qui nous paraît d’abord lointain se rapproche bien vite de notre réalité. En effet, « l’affaire Cosmos » finit par déchainer les foules et le chien se retrouve au centre de deux camps opposés : les défenseurs de la cause animale d’un côté, et la caricature qui est pas piquée des hannetons de l’extrême droite de l’autre, bien décidée à faire de ce canidé un symbole de l’insécurité qui gronde dans le pays.

La situation incongrue déroulée sous nos yeux s’y prêtant fort bien, les gags loufoques s’enchainent et donnent lieu à des échanges lunaires lors du procès, où Cosmos est jugé non plus comme un animal sans âme et « chose » d’un humain, mais comme une personne dotée de conscience. Tandis qu’Avril tente de redéfinir le statut du chien, l’avocate du camp adverse (interprétée remarquablement par Anne Dorval) joue sur la corde politique et souhaite coûte que coûte voir ce chien récidiviste euthanasié. Les controverses pleuvent et ponctuent les audiences, toutes plus farfelues les unes que les autres. Entre la supposée misogynie du chien (qui a mordu trois fois, mais seulement des femmes) et les analyses du génial comportementaliste canin campé par Jean-Pascal Zadi, Le Procès du Chien enchante par ses personnages hauts en couleurs et ses situations rocambolesques que n’auraient pas renié Buñuel et Kafka.

© Bande à Part Films Atelier de Production RTS Radio Télévision Suisse SRG SSR France 2 Cinéma

… puis j’ai pleuré

Pourtant, à mesure que se déroule le récit, Le Procès du Chien prend par la suite des allures plus sérieuses et laisse place à une réflexion sociétale et existentialiste que l’on ne voit pas venir. Le film intègre une dimension anthropologique et philosophique intelligente et profondément captivante qui offre une épaisseur maline à l’ensemble. La condamnation sans sourciller de ce chien mordeur mérite en effet réflexion, notamment sur le rôle des hommes qui gravitent autour de lui et de leurs comportements à son égard. Un chien n’est pas un homme, on ne peut donc attendre de lui qu’il se comporte comme tel. Et plutôt que de le condamner, ne faut-il pas plutôt essayer de le comprendre ?

Nos rires, parfois benêts, laissent rapidement place à de multiples réflexions sur notre rapport au vivant, à l’Homme, au féminisme, à l’écologie, au libre arbitre ou encore à la différence. Et malgré quelques imperfections, notamment dans sa mise en scène plutôt académique et quelques sentiments d’allers-retours narratifs superflus, Le Procès du Chien charme par sa profonde générosité et les nombreuses pistes réflectives qu’il propose. Notre rapport aux autres, et plus généralement au monde, ne sort pas indemne de cette fable humano animale touchante qui cristallise par ailleurs la violence humaine et notre étroitesse d’esprit sur certains sujets.

Avec Le Procès du Chien, Lætitia Dosch réussit son passage derrière la caméra et livre une fable singulière et pleine de fantaisie qui explore brillamment notre rapport au vivant.

 

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