Le Jeu de la reine de Karim Aïnouz : La Dame au grand cœur

Pour son cinquième passage par le Festival de Cannes, mais le premier dans la sélection officielle, le réalisateur brésilien Karim Aïnouz marque une rupture dans son cinéma avec Le Jeu de la reine, un drame historique.

Narrant l’histoire de Catherine Parr, brillamment interprétée par Alicia Vikander, Le Jeu de la reine réussit à porter des enjeux infimes aux yeux du monde, et pourtant si grand en répercussion pour la royauté britannique et tout ce qui en découle.

Fresque sale des luttes d’influence entre le catholicisme et le protestantisme du XVIe siècle, le récit prend le temps de dresser des portraits très marqués de nos différents protagonistes. Souvent caricatural, mais toujours sur la ligne de l’attachement émotionnel, le film réussit à offrir un récit aussi intimiste qu’historique.

« Catherine Parr (Alicia Vikander) est la sixième femme du roi Henri VIII, dont les précédentes épouses ont été soit répudiées, soit décapitées (une seule étant décédée suite à une maladie). Avec l’aide de ses dames de compagnie, elle tente de déjouer les pièges que lui tendent l’évêque, la cour et le roi… »

© Brouhaha Entertainment 2023

Un couple déséquilibré…

D’une situation royale, Karim Aïnouz dresse des portraits intimes. Non pas dans une intimité douce et aimante, mais une intimité dans la violence et la résilience. Adapté du roman homonyme d’Elizabeth Fremantle publié en 2022, la narration du film suit la relation entre Catherine Parr et son époux le roi Henri VIII. Dépeins dès l’ouverture de l’œuvre comme un personnage violent et tyrannique (à juste titre, il n’hésita pas à décapiter ses anciennes reines), Henri VIII – incarné à l’écran par Jude Law – a tout de l’antagoniste détestable. Sans une once d’humanité à laquelle s’attacher, le travail de reconnaissance est tout tracé : Catherine Parr (Alicia Vikander) sera le spectateur, le roi notre ennemi. Et c’est ici que le film surprend.

D’une énième lutte de pouvoir, sur fond de décors médiévaux, Le Jeu de la reine devient une œuvre plus proche de nous qu’elle ne pouvait laisser entrevoir. La relation de ce couple se positionne au centre du récit : Catherine Parr ne cherche pas le pouvoir, mais sa survie. Exit les erreurs historiques et exit le surjeu des comédiens, la tension devient naturelle quand l’action met notre protagoniste en danger.

…chez les comédiens aussi

Toutefois, si le couple entre Henri VIII et Catherine Parr est déséquilibré par les pouvoirs de chacun et leur condition, celui opposant Jude Law et Alicia Vikander en fait tout autant. Commençons avec une évidence : Alicia Vikander porte le film. Toujours juste dans ses regards, et époustouflantes dans ses dialogues avec le roi, la comédienne suédoise prouve une nouvelle fois que sa palette de jeu n’a presque aucune limite. Les ruptures de jeu opérées dans les discussions incluant Henri VIII, ses enfants et Catherine illustrent en grandes pompes la sincérité d’interprétation et la compréhension d’une histoire trop peu connue.

De son côté, Jude Law peine à convaincre. Si la froideur et l’absence semble caractérisées la fin de vie du roi Henri VIII, on peut regretter l’absence de variation dans le ton et l’intention de la part du comédien britannique. Son personnage n’a, bien entendu, pas pour objectif de faire ressentir de l’empathie, mais tout bon « méchant » – au cinéma en tout cas – ne se doit-il pas de procurer d’autres choses que du dégoût ? Ça fonctionne, mais ça manque d’une incarnation pour devenir un rôle de référence dans la longue carrière de Jude Law.

Réchauffer l’image

À contre-courant des couleurs froides et fades qui collent à la peau de la majorité des films dits historiques, Karim Aïnouz a mis un point d’honneur à peindre son image, rendant ainsi le récit bien plus proche du public et de notre époque. « Karim est capable de capturer la passion à l’écran, il est comme un peintre avec des images, explique d’ailleurs Gabrielle Tana, la productrice du Jeu de la reine, je savais que le film serait magnifique d’un point de vue esthétique ».

De plus, pour montrer le quotidien banal d’une famille si peu banale, Karim Aïnouz n’hésite pas à montrer le flot de la vie tel qu’il n’est que trop peu représenté : brut. « Je voulais que le film soit sale afin d’être authentique. La façon dont les gens vivaient à cette époque et leur rapport à l’hygiène, à la propreté et à la santé avaient quelque chose de très intéressant pour moi. D’autre part, je voulais montrer le goût immodéré des Tudors pour l’éclat et la démesure. Les Tudors étaient éclatants et bling-bling. Il y avait beaucoup de sang, d’or et d’excès. Enfin, je voulais que l’esthétique reste intime », raconte le cinéaste brésilien.

Le souci du détail

Du côté des décors, le travail est tout aussi impressionnant. Le château de Haddon Hall, où l’histoire prend place, est également le lieu de tournage. Pas de studio donc, et du décor réel dans un environnement exceptionnel qu’il faut savoir dompter. Si on peut reprocher au film de ne pas vraiment faire participer le spectateur à la cartographie des lieux – c’est très fouillis – on peut mettre en avant une chose essentiel dans le découpage des plans : la capacité du réalisateur à exploiter ses salles de tournage.

Karim Aïnouz ne se contente pas de filmer un coin ou un bout de mur pour son dialogue entre deux personnages, mais il crée une véritable logique dans le positionnement et la chorégraphie pour rendre son ensemble cohérent. Ça parait bête ainsi dit, mais c’est un « game changer » dans de très nombreuses œuvres.

Image de mise en avant
© Brouhaha Entertainment

Beaucoup de positif en définitive pour le Jeu de la reine, mais une copie ternie par un antagoniste sans couleur et une caméra trop immobile. Karim Aïnouz signe toutefois une œuvre intemporelle qui ne cherche qu’à se faire apprécier au fil du temps. C’est propre, bien exécuté mais est-ce suffisant pour devenir un film important ?

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