Avec Le Clan des bêtes, Christopher Andrews signe un premier long-métrage brutal et anxiogène, qui s’inscrit dans une veine naturaliste et violente du thriller contemporain.
Porté par les performances remarquables de Christopher Abbott et Barry Keoghan, Le Clan des bêtes interroge les conséquences de l’isolement des hommes, sur fond de crise agricole européenne.
« Michael O’Shea (Christopher Abbott) vit avec son père vieillissant dans une ferme de la campagne irlandaise où il élève un troupeau de brebis et de béliers. Son pâturage, à flanc de colline, est situé non loin de la maison de Gary Keeley, de sa conjointe Caroline et de leur fils Jack (Barry Keoghan). Un jour, Michael reçoit un appel de Jack pour l’informer qu’il a retrouvé deux de ses bêtes mortes sur sa propriété. Méfiant, O’Shea se met à soupçonner les Keeley de lui voler son bétail pour le revendre au marché. »
Oh, Ireland
Le Clan des bêtes a pour cadre une Irlande rurale coupée du monde, où les moutons et les béliers sont plus nombreux que les hommes. L’un des paradoxes les plus puissants du film réside dans la beauté stupéfiante de ses décors naturels malgré le désespoir qui découle de son intrigue. Les vallées verdoyantes, les montagnes qui touchent le ciel forment un ensemble sublime à l’image, magnifié par la photographie brumeuse de Nick Cooke. Mais ce décor millénaire enferme pourtant ses personnages. De ce fait, Andrews montre la difficulté des agriculteurs à prospérer et ce de façon très organique : froid, boue, sang sont autant d’éléments que le film va se donner à cœur d’exploiter pour montrer la rudesse du mode de vie de ces personnages.
Le Clan des bêtes a pour sujet un conflit de voisinage qui dégénère. Cela rappelle forcément un autre film du genre : As Bestas. Il s’agit clairement de l’inspiration principale d’Andrews, qui emprunte à Sorogoyen son style nerveux. En misant sur une caméra à l’épaule dynamique et des plans-séquences immersifs, la réalisation installe une tension palpable à chaque instant. Autre similitude, As Bestas met également en scène une fracture entre deux groupes de personnages, séparés par une série d’obstacles qui rendent la communication impossible. Qu’il s’agisse de la barrière linguistique — Michael (Christopher Abbott) et son père étant les seuls à parler gaélique — ou d’un clivage plus profond entre ceux qui défendent l’enracinement rural et ceux qui aspirent à une vie urbaine.
Les Chiens de paille
Le thriller irlando-britannique se singularise par son traitement viscéral de la violence, notamment à travers des scènes particulièrement éprouvantes de mise à mort d’animaux. Dès sa scène d’ouverture, Le Clan des Bêtes annonce la noirceur qui imprègne l’ensemble du récit. En quelques plans seulement, dans le huis clos oppressant d’une voiture, Christopher Andrews parvient à instaurer une atmosphère de tension et de malaise suffocante. Cette maîtrise de la mise en scène se déploie tout au long du film.
D’entrée, le spectateur est placé dans une position délicate, invité à suivre Michael O’Shea, un protagoniste que l’on découvre dans sa première scène comme étant impliqué dans un acte criminel abject. Pourtant, à mesure que le récit avance, le film s’attache à explorer les racines de cette violence. Comme pour chacun des personnages, les actes de violence sont moins jugés qu’analysés, déconstruits dans leur complexité.
Méfiez-vous du Sheperd
Pour illustrer cette complexité, le film opte pour le choix ambitieux d’une narration éclatée. De ce fait, les événements ne sont pas chronologiques et permettent de nombreux retours en arrière pour comprendre les motivations des personnages.
En évitant une linéarité classique, le film échappe ainsi à toute lecture manichéenne. Le Clan des bêtes puise son énergie dans des œuvres telles que The Last of Us 2 qui lui aussi multiplie les points de vues pour interroger l’origine de la violence. Mais l’emploi de cette violence n’est pas gratuit. Aussi, le segment avec Jack (Barry Keoghan) illustre les tourments d’hommes coincés autant dans leur village que dans les dogmes du patriarcat. Une société dans laquelle seule règne la maxime “l’homme est un loup pour l’homme”.
Ainsi, Barry Keoghan apporte à l’ensemble des instants de douceur inattendus. Et ce dans un rôle qu’on lui connaît bien, c’est-à-dire celui d’un personnage lunatique, fragile et torturé. Néanmoins, si le propos est pertinent, le dispositif devient parfois caricatural. Certaines séquences flashbacks avec le personnage de Barry Keoghan ralentissent le rythme et retardent l’arrivée du climax. Ces séquences sont dispensables, tant leur conclusion est prévisible.
Mise à mort du bélier sacré
En plus du thriller, le long-métrage lorgne du côté du western dans des séquences d’action hautement maîtrisées. Si le récit de base a de quoi déprimer, le film assume pleinement ses racines de film d’action. Et disons-le simplement, Le Clan des bêtes est un film jouissif. L’implication physique sans limite de Christopher Abbott y joue pour beaucoup, notamment dans des scènes de combat au corps à corps qui utilisent des éléments du décor de manière ludique, comme dans un jeu vidéo.
Aussi, à partir du début de la quête de vengeance de Michael, le long-métrage peut se targuer d’un humour noir bienvenu qui donne à certaines séquences un air de film de sale gosse, caustique là où on ne l’attend pas. Cet aspect épouse la folie ambiante des personnages, comme dans la scène avec un sac en plastique, tristement drôle.