Anna Bronsky (Nina Hoss) est une professeure exigeante. Si elle n’a pu devenir elle-même devenir une concertiste de renom, elle n’a pas abandonné ses rêves de réussite pour son élève Alexander (Ilja Monti), qu’elle prépare à l’audition de fin d’année avec beaucoup d’intensité. Elle néglige ainsi son mari Philippe (excellent Simon Abkarian) et son fils Jonas (Serafin Mishiev), également jeune violoniste. Sa famille résiste mal à son implication fanatique dans son Art…
Anna est une quarantenaire un peu déprimée, un peu paumée. Sa vie familiale s’étiole, entre un père cruel qu’elle craint, un mari aimant qu’elle délaisse, un fils jeune adolescent qui lui échappe, un amant qu’elle voit en cachette. Sa vie ressemble, au mieux, à un film de Cassavettes ; au pire, à un épisode de Confessions Intimes. En plus, elle vit en Allemagne, dans une ville où il fait soleil trois fois par an, à en juger par la photographie grisâtre du film. C’est vous dire l’angoisse.
Finalement, la seule partie de ses journées qu’Anna maîtrise, c’est celle qui se déroule au Conservatoire de sa ville, entre 8h et 17h en semaine, quand elle dispense ses cours de violons aux jeunes futurs virtuoses qu’elle prépare. Cette année, elle a choisi le jeune Alexander pour le concours de fin d’année, et elle compte bien qu’il le remporte. L’archet du violon, c’est sa colonne vertébrale, la seule chose qui donne encore du sens à sa vie. Bien plus que sa famille.
Au début, on pense à un bête film sur l’effort et la réussite, comme le très gentillet Au bout des doigts avec Kristin Scott-Thomas, sorti l’année dernière. Comme Kristin, Anna ne serait au fond qu’une professeure exigeante, parfois rude, mais toujours courtoise. La réalisatrice Ina Weisse, pour son deuxième long métrage, fait le choix d’une réalisation sobre, assez rêche, cadrant serré ses personnages, dans des lieux souvent exigus qui soulignent leur enfermement mental. Les quelques moments de grâce au son de la musique, sont rapidement interrompus par des cut frustrants mais nécessaires pour la narration.
Car le film n’emprunte pas du tout la voie du feel good qu’on pouvait espérer, et la vie d’Anna devient de plus en plus chaotique au fur et à mesure des minutes. Elle va craquer, pense-t-on. Grosse erreur. Le film nous balade. Alors que l’on croit Anna prête à défaillir, derrière le vernis de sa déprime, apparaît le visage impitoyable de sa terrible exigence. Oh, il faut souffrir pour réussir, se dit-on. On repense à l’ambigu Whiplash de Damien Chazelle, où le succès était au bout de la torture. Mais c’est en fait, un drame à la manière de Michael Haneke (La Pianiste, Le Ruban Blanc…) qui est mis en scène. En réalité, Anna est prête à absolument tout pour étancher sa soif d’absolu musical, et rien, pas même la santé, pas même la vie de son élève, ne sont aussi importants que la partition qu’il doit jouer. C’est une femme fanatique que le film dévoile alors, et l’on peut peut-être regretter que ce climax arrive très tardivement, car après une montée en tension un peu longue, c’est le meilleur moment du film.
D’ordinaire, quand on parle de fanatique allemand, on pense directement à un méchant bonhomme qui crie fort, avec une petite moustache noire, et une grande mèche rabattue sur le front. On ne pense pas immédiatement à une mère de famille blonde qui enseigne le violon aux enfants. Non, la bête immonde ne peut pas ressembler à cela. Et puis, on voit l’Audition et on comprend. On comprend que le fanatisme peut se cacher dans tous les domaines, y compris la musique, y compris le violon. Il peut prendre l’apparence d’un visage sympathique et a priori bienveillant, qui se révélera d’un machiavélisme impitoyable. C’est un numéro d’illusionniste qui se joue ici : quand le Mal, tapi dans le quotidien, apparaît sous les traits d’une psychopathe-next-door, et semble de surcroît se transmettre à la génération suivante. Charles Baudelaire nous le confiait : « La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas »
Pour cette Audition, Nina Hoss a été récompensée comme Meilleure Actrice du Festival de San Sebastien, et le film a fait l’ouverture du Festival du Cinéma Allemand à Paris le 2 septembre. La salle où il était diffusé était bondée – on n’avait probablement pas vu une assistance aussi germanophile à Paris depuis 1942. On peut donc prédire au film un bel avenir, en salles à partir du 6 novembre.
Film dur, mais magnifique. Nina HOSS y est riche, convaincante, rigide et fragile à la fois.
Réussir un film avec autant de grisaille, de froidure, sans soleil, sans nature apaisante, sans personnages souriants, ne serait-ce que 2 ou 3 fois, relèvee de l’exploit. C’est cela la création. Bravo!
Seule une femme pouvait réussir ce défi….
Dommage qu’il n’y ait aucune information sur le violoniste Alexander..; Est-ce le jeune acteur qui joue? Il semble que oui. Pourquoi cela n’est-il mentionné nulle part?
Merci.
Michel L.