Violence, amour et pognon. L’Amour Ouf est un retour derrière la caméra pour Gilles Lellouche. Six ans après Le grand bain, l’acteur-auteur-réalisateur se mouille à nouveau, sans rouiller on l’espère. Le nouvel essai est-il réussi ?
Adaptation du livre éponyme de Neville Thompson, le projet a, de l’aveu même de son réalisateur, mit dix-sept ans à germer. Un long processus faisant écho aux vingt ans de développement du Mégalopolis de Coppola, mais la comparaison s’arrêtera là. À la place d’avoir un architecte, nous sommes ici devant un danseur, au rythme irrégulier et aux chevilles gonflées.
« Dans les années 80 dans le Nord-Est de la France, deux adolescents, Clotaire (Malick Frikah) et Jackie (Mallory Wanecque), tombent éperdument amoureux malgré leurs origines sociales opposées : elle est issue d’une famille bourgeoise alors qu’il vient d’une famille ouvrière. Leur histoire d’amour étant vouée à l’échec, le garçon devient un criminel et passe 12 ans en prison. Après sa sortie de prison, Clotaire (François Civil) est déterminé à reconquérir Jackie (Adèle Exarchopoulos). »
« C’est joli, mais ça sert à rien »
La tentative plus qu’évidente de faire un film somme exsude de toutes les décisions de ce gros morceau. De ses visuels à ses musiques, de ses acteurs à sa distribution, L’amour Ouf se sert avec plaisir d’un très confortable budget de 35,7 millions d’euros pour nous en mettre plein les mirettes. Une tentative de spectaculariser le retour du réalisateur, pas complètement loupée.
Des visuels léchés jonchent ainsi le film. Ils sont parfois très marquants, et l’on pense notamment à un plan au milieu de fleurs jaunes rappelant le magnifique champs de jonquilles de Big Fish, ou encore à plusieurs séquences alourdies de stabilisateurs pour suivre des jeunes pleins de testostérone comme on en retrouve dans West Side Story. Ce sont de belles idées de mise en scène, et l’étalonnage tout en contrastes y est pour beaucoup, rendant cette imagerie vivante dans notre inconscient.
On sent donc dans L’amour Ouf une véritable intention d’iconiser les personnages. Ce qui est une bonne chose, car cela laisse au réalisateur toute l’amplitude de les ancrer un peu plus dans des milieux sociaux et géographiques trop peu représentés. En revanche, beaucoup de décisions de mise en image et en son sentent un peu le réchauffé, le « déjà-vu ». C’est dommage, car ces quelques redites empêchent l’épanouissement de séquences pourtant mémorables, comme une scène de fusillade aussi bien mise en scène qu’importante en ouverture, malheureusement révoquée plus tard par le film lui-même !
L’homme qui valait 35,7 millions
L’ambiance sonore, trop peu présente, réussit péniblement à mettre en avant les différents lieux présentés (ce qui aplatit malheureusement plusieurs scènes ouvrières qui auraient gagné à être plus exploitées). Et cette atmosphère est surtout sous-exploitée par rapport à la comédie musicale qui nous était initialement vendue. Une petite scène de danse ouvre les prémices d’un soubresaut musical. Mais elle se retrouve vite étouffée par une bande-son simplement illustrative.
L’autre aspect insuffisant du film, ce sont ses personnages. Bien qu’ancrés dans l’écriture première de Thompson, ils apparaissent ici plats, un peu caricaturaux. Le casting nous rappelle surtout que nous sommes face à la bande habituelle d’acteur.ices qui semble constituer les cinq seuls talents du cinéma français depuis 2020 tant ils semblent être partout, tout le temps. L’on en ressort avec une impression douce-amère : celle de voir l’épopée de bonnes connaissances, mais aussi de ne voir qu’une démo. Comme si Lellouche étalait son carnet d’adresse sur presque trois heures.
En ressort alors, en dépit du talent habituel du réalisateur, un caractère pataud dans la direction d’acteurs. Tout le monde à des faux, des petits à-coups d’imperfections. Et l’on se frustre à devoir endurer non plus une bande d’acteur.ices talentueux.ses, mais un entre-soi bien mis en image mais mal dirigé au lieu de faire une meilleure place à des personnages secondaires bien joués (et dirigés) mais relayés au rang de sidekicks.
L’Amour ouf est donc une épopée plus dans sa création que dans son produit final. Un film non pas désagréable, mais regrettable par rapport aux moyens mis en place pour l’ériger ; une histoire d’amour surprenante sur un fond social trop mis à l’écart au profit de ce que le film aurait peut-être dû assumer être : un spectacle.
Le 16 Octobre au cinéma